Nuit rhénane

lecture analytique

I. Sous le signe de l’ivresse

1. une ode au vin

> le champ lex de l’alcool est présent, avec plein, ivre, vin… l’ivresse va du verre au fleuve, faisant du rhin un fleuve d’alcool qui enivre le texte.

> les mouvements font penser à la démarche titubante « trembleur / tordre / danser / tombe en tremblant... »

> le discours bredouillant de l’ivrogne se fait entendre à travers les allitérations en v…

 

2. une ivresse qui fait vaciller le réel

Le récit d’un moment où surgit le surnaturel, où la frontière entre la perception du réel et l’hallucination vacille. Le récit se passe la nuit (cf le titre), on souligne la présence de la lune, et le présent d’énonciation insiste sur la transformation du paysage qui s’anime « les vignes se mirent », « l’or des nuits tombe ». Les rythmes peuvent également suggérer l’apparition fantastique : la première strophe se termine par un enjambement qui ouvre l’espace imaginaire du chant du batelier. Enfin, le poème compte 13 vers, chiffre qui renvoie aux superstitions fantastiques…

 

3. le tremblement du sens

L’image du tremblement se propage alors au long du poème. Au vers 1, l’adjectif « trembleur » qui désigne une personne trop craintive, fait penser à la main tremblante du buveur.

Dans la 3ème strophe, le fleuve et le paysage sont animés du même tremblement que mime la répétition et l’assonance en i « le Rhin est ivre où les vignes se mirent ». L’allitération du vers suivant « tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter » reprend cette idée.

C’est tout le sens du poème, qui tremble, depuis le premier mot où le « verre » fait entendre par écho les « cheveux verts », mais également le « vers »… de même que l’expression « longs jusqu’à leurs pieds » peut prendre un double sens, puisque le pied est la mesure du vers.

 

4. Un poème qui mime l’expérience du buveur :

on noter la progression des 3 premiers quatrains : le point de vue s’élargit, d’abord fixé sur le batelier, puis sur la salle, et enfin sur le paysage : c’est la montée de l’ivresse qui semble ainsi suggérée. Puis la brisure du dernier vers éclate : enchantement brisé et retombée de l’ivresse ? Occasion de faire entendre le rire maléfique des sept fées ? Célébration du rire dionysiaque qui fait « éclater » le poème (qui le brise / qui le rend brillant)

 

II. La mythologie germanique

1. 1ère strophe : le personnage du batelier et les ondines, au nombre magique de 7, renvoient au folklore germanique. Elles rappellent la sirène maléfique de la Lorelei qui séduit les chevaliers pour les noyer, et autres créatures enchanteresses... Ces sorcières apparaissent sous la lune, astre qui symbolise le pouvoir mystérieux de la féminité, et la torsion de leurs cheveux rappelle également le mouvement de la flamme (la rime femme / flamme souligne d’ailleurs ce rapprochement).

 

2. 2ème strophe : la menace de ces sorcières se précise. Pour conjurer leur puissance et résister à leurs sortilèges, le poète demande à ses compagnons de chanter « plus haut » et de former une ronde protectrice (un cercle magique). Il demande également la présence de « toutes les filles blondes » aux nattes « repliées », plus rassurantes et apolliniennes que les longs cheveux verts.

 

3. 3ème strophe : l’inefficacité de ces parades éclate, devant le chant mortifère du batelier et les incantations des fées. La référence à l’Or du Rhin, qui met en scène des déesses faisant perdre la raison aux hommes, renvoie à la puissance des opéras Wagnériens, et à une sorte de victoire du dionysiaque sur l’apollinien (l’été est incanté, c’est-à-dire charmé, ensorcelé)

 

III. Un poème incantatoire

1. Le motif du chant est omniprésent depuis la « chanson lente » du batelier, au rythme hypnotisant, jusqu’aux fées qui « incantent l’été », en passant par l’injonction « chantez plus haut »

 

2. Le poème lui-même semble se faire l’écho de ces chants envoûtants : le poète invite son auditoire « écoutez la chanson lente », avant d’ordonner « debout chantez plus haut ».

La musicalité du texte s’appuie sur une composition en boucle, puisque le dernier vers fait écho au premier. On retrouve ici la symbolique du cercle, qui sera développée par les rythmes répétitifs. Aux vapeurs du vin du Rhin et au merveilleux germanique répondent ainsi l’ivresse et la magie de l’inspiration poétique.

On finit d’ailleurs par une belle mise en abyme d’un chant dans le chant « La voix chante … ces fées qui incantent l’été »… le poète fait surgir par son chant un batelier, qui fait surgir par son chant des ondines, qui font surgir par leur chant l’été !

 

3. Un chant qui fait « éclater » le monde :

> une mise en pièces de la syntaxe et de la langue :

le rhin est ivre où les vignes se mirent.. à la place de les rhin où les vignes se mirent est ivre

l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter… à la place de l’or de nuit tombe s’y refléter en tremblant

> néologismes : la voix chante toujours à en râle-mourir

> on finit sur le thème de la brisure et de l’éclat

 

4. Mais il s’agit de rendre le chant éclatant

l’éclat est un éclat de rire, et on est dans un monde où le chant est un reflet embelli du monde :

> les vignes se mirent / l’or des nuits tombe s’y refléter : les verbes de sens réfléchi font de la poésie comme un miroir, qui anime la nature et fait naître des images poétiques. On entre ainsi dans le monde magique de l’analogie, de la métaphore et de la comparaison, qui réenchantent le monde. Le dernier vers est construit sur une comparaison qui, loin de célébrer une brisure destructrice, rend hommage à la force de vie du chant poétique. Le chant devient en effet rire...

Ajouter un commentaire