lecture analytique

La Bête humaine

I. Le monstre en soi (l’horreur d’être une bête humaine)

 

1. une pulsion animale (un personnage sous l’emprise de la passion)

> animalisation (« enragé », « galopant », verbe « dévorer », un « râle d’effroyable désespoir », la « bête enragée »...) , pulsion, retour à l’état de nature (elle s’appelle Flore… et réveille la nature du pers), avec ce personnage qui s'agrippe aux herbes et à la terre.

> un personnage passionné, passif. Image du passionné « la fièvre grandissante, affolante, du désir » : noter le chiasme qui enferme le personnage dans sa passion, associée au délire.

>> une écriture de l’obsession (un mal que « re »vient, répétition du mot « tuer », la scène est revécue etc...)

 

2. entre fantastique et horreur

> le réel vacille « au milieu d’une sorte de grande fumée qui déformait tout ». Le rêve évolue jusqu’à la hantise : « Comme les autres, sous l’éveil de la puberté, rêvent d’en posséder une, lui s’était enragé à l’idée d’en tuer une »

> un regard horrifié : relever la présence obsédante du corps, décrit de manière abstraite "tuer une femme", puis concrète, "chair / gorge / chaude et blanche". De même on passe de « une femme » à « Flore » : le crime se concrétise sous nous yeux. Hantise jusque dans les mots du discours indirect libre « pour les lui planter dans la chair » : les sonorités du mot « planter » se disséminent dans la phrase.

>> ce n’est pas le personnage, c’est le lecteur qui est effrayé : c’est effrayant que le personnage ne soit pas effrayé : on a une identification impossible avec le personnage, placé ainsi hors du champ humain.

 

3. écriture de la dépossession de soi (folie et altérité, aliénation)

> écriture de la folie : une maladie/un mal dont on se croit guéri, cf les références à la rage (voc scientifique). Flore est « affolante de désir » : le mot contient la folie.

> un personnage hypnotisé « dès qu’il l’avait vue » : le personnage est médusé, transformé. « cette chair, cette gorge » : les démonstratifs rendent compte du regard qui fixe de manière de plus en plus précise l’objet du désir.

> images de la perte de la contenance : la fêlure, cassure, le trou, la fumée : imaginaire de l’échappée, de l’insaisissable

>> le personnage devient autre, littéralement « aliéné », « il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles » : image de Hulk, ou Mr Hyde… Même son corps est affecté : « l’appréhension et la honte de ses crises l’avaient seules maigri autrefois ». Son corps entre santé et amaigrissement est sous le signe d’une duplicité également. Lorsqu’il crie, sa gorge qui « se déchire » laisse entrevoir cette image du dédoublement.

En tout cas, inquiétante étrangeté, découverte horrifiée de l’autre en soi (figure de l’inconscient?) à travers le motif du mensonge ou du secret ( Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal, qu’ils n’avouaient pas).

 

II. Une analyse de la monstruosité (quête de l’origine du mal)

 

1. une lutte intérieure 

> image des mains qui se retiennent à l’herbe, puis qui s’enfoncent dans la terre (le geste qui serre est cependant déjà amorcé). Passage aussi du fantasme de l’égorgement à sa gorge qui se déchire pour crier…

> lutte physique, mais aussi intellectuelle : structure du texte en 2 parties, avec émotions, puis réflexion (de l’expérience à la théorie : démarche inductive, scientifique). Passage de l’exclamation (cri) à l’interrogation : le texte mime le mouvement d’une enquête. Mouvement réflexif appuyé par les pronoms réfléchis : « il s’était questionné ». On passe également du présent au passé : tout le texte est sous le signe de la confrontation (de soi avec les autres, de soi avec soi-même).

>> une volonté de rester lucide : il s’agit de ne pas « se mentir » à soi-même. « ce n’était point parce qu’elle résistait, non ! c’était pour le plaisir, parce qu’il en avait une envie » : regard lucide avec phrase en 2 partie : on récuse les hypothèses, les fausses excuses : le personnage fait son propre procès devant le tribunal de sa conscience.

 

2. une quête de l’origine

> une introspection : plongée en soi « du fond de sa jeunesse » : imaginaire de la profondeur mime cette plongée dans l’inavouable. On est presque dans une démarche psychanalytique, et l’on remonte vers l’origine, la naissance et la relation parentale.

> Le père est sous le signe de la duplicité : beau / mauvais cœur, et la mère est à la fois innocente et pleine de larmes : la figure du double se démultiplie.

> la folie du frère offre un miroir surprenant : « Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal, qu’ils n’avouaient pas, l’aîné surtout qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement qu’on le disait à moitié fou de son génie » : le frère, sorte de double du personnage, offre la figure du créateur détruit par son œuvre.

>> On est dans le secret de famille, la loi de l’hérédité, où l’on se transmet des tares ataviques : «  La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire » : le passage de une fêlure à cette fêlure héréditaire témoigne de la progression de cette enquête intime.

 

III. Un combat mythique : la lutte contre le monstre (redéfinition du héros)

 

1. dimension tragique : le destin infernal (une malédiction)

> Lantier apparaît comme un héros tragique, dont le destin serait inscrit dans les gènes. L’expression « Mon Dieu », répétée 2 fois, apparaît alors ironique : pas de salut possible. Eternel retour du mal = annoncé dès la première ligne : figure d’un destin qui s’acharne.

> le personnage, animé par le sentiment d’une différence avec les autres, « Qu’avait-il donc de différent, lorsqu’il se comparait aux autres ? », laisse penser son caractère extraordinaire, qui le place en deçà (monstre) ou au-delà de l’humain (héros tragique).

> ironie tragique : il s’agit de planter Flore…

>> dimension infernale dans ce corps qui s’agrippe aux herbes puis à la terre, il s’enfonce dans des profondeurs telluriques. Ce texte : une réécriture d’Orphée qui va aux enfers pour sauver son Euridyce-Flore ?

 

2. Eros et Thanatos : la perversion du désir

> La dimension mythologique de ce texte apparaît surtout dans l’inversion entre le désir – pulsion de vie, et le désir – pulsion de mort. « Comme les autres, sous l’éveil de la puberté, rêvent d’en posséder une, lui s’était enragé à l’idée d’en tuer une » : posséder / tuer renvoie au couple Eros Thanatos, et à la perversion du désir de Lantier, qui l’éloigne de la communauté des hommes.

> la menace du chaos : le personnage vient de se sentir aimé, et il répond par un désir destructeur : c’est le monde à l’envers, l’amour se mue en haine, la gorge à embrasser prépare l’égorgement. Le monstre est celui qui fait planer la menace de destruction là où la vie et la création semblent prospérer.

>> le combat de la lutte contre le monstre est réactualisé : il s’agit de lutter contre ses pulsions, de sublimer ses passions. Lecture psychanalytique avant l’heure...

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