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lecture analytique

La mort des artistes

I. La condition de l’artiste : travailler la matière pour contempler l’esprit

 

1. un travailleur acharné

La poésie engage tout l’être, jusqu’à l’usure de l’âme (« combien faut-il de fois »). L’emploi du futur témoigne d’ailleurs d’un acharnement sans fin. C’est une œuvre sans cesse reprise, « nous démolirons mainte lourde armature », l’œuvre n’étant jamais à la hauteur de l’aspiration poétique qui l’a fait naître (c’est une « morne caricature »). Les « subtils complots » permettant d’atteindre cet idéal désignent l’art du verbe, qui transforme le langage en musique.

 

2. les avatars du poète

entre le bouffon avec « ses grelots» et l’athlète, avec ses « javelots », c’est finalement l’image du sculpteur qui semble symboliser la condition du poète. L’identité du poète est une quête, et l’image du javelot rend compte aussi de la difficulté d’atteindre la cible. Il s’agit avec le sculpteur de transformer la matière, de s’attaquer à une surface dure, pesante, mais qui permettra d’atteindre l’idéal. Le poète est celui qui transforme la pierre en or, une sorte d'alchimiste.

 

3. une entreprise de dévoilement :

l’objectif est de « contempler la grande Créature », ce qui renvoie à une extase du poète dans une vision béatifiante. La démolition des « lourdes armatures » fait craquer l’armature de notre vision quotidienne du monde pour faire apparaître « l’Idole », la Beauté. Le poète est ainsi un déchiffreur du réel, et son entreprise coïncide avec le rêve d’un retour à l’origine, d’un retour à la lumière primordiale, d’un retour d’une langue primitive… Le « sanglot » peut renvoyer à cet idéal mystique d’un au-delà de la parole.

 

II. Les angoisses de l’artiste

 

1. l’angoisse est exprimée par l’opposition entre le but mystique de l’artiste et ses réalisations, qui ne sont que de mornes caricatures de son Idéal. On oscille ainsi dans le poème entre une aspiration mystique et un échec devant la réalité décevante.

Le vocabulaire de la sensualité rend compte du double aspect du désir de l'artiste: « baiser le front, désir infernal, Idole » désignent avec le même vocabulaire l’amour charnel et la révélation divine. Le même vocabulaire désigne le sublime et le grotesque, comme l’identité du poète oscille entre le bouffon et l’athlète. On retrouve la double postulation entre le spleen et l’idéal, qui caractérise aussi la beauté, qui peut venir du ciel comme de l’enfer…

 

2. une menace de destruction

les pronoms personnels sont de plus en plus impersonnels : « mes grelots » / « nous userons » / « il en est » : on assiste à une dépersonnalisation du personnage, qui perd sa voix propre. Les formes négatives sont d’ailleurs de plus en plus présentes : « jamais n’ont », « n’ont qu’un »… Ajoutons que la forme du sonnet joue sur un effet de diminution des strophes, mimant un mouvement decrescendo. La progression des quatrains au tercet nous propose une vision d’artiste raté ; on avance en échouant… Enfin, le texte s’achève sur la mort, sorte d’horizon tragique.

 

3. une création infernale

La création poétique est une mécanique qui finit par devenir une sorte d’enfer : les « sanglots » du poète torturé par « l’infernal désir » en témoignent. Surtout, l’artiste en vient à s’autodétruire : le sculpteur, loin de marteler la pierre, « se martelant la poitrine et le front », retourne sur lui-même son travail, comme si le corps du poète était la matière transformée. Les allitérations en [rt, [tr], [fr] font entendre la violence de ce corps à corps. Sorte de bourreau de soi-même, le poète se fait héautontimoroumenos.

 

III. Une beauté mortelle...

 

1. Une beauté mystérieuse, fantastique…

L'objet recherché par les artistes est désigné par des périphrases obscures ; « le but, mystique nature, grande créature, idole... ». L'idole renvoie au vocabulaire platonicien de la Beauté idéale, parfaite, relevant du monde des idées, accessible seulement au démiurge philosophe. La « mystique nature » exprime également l'idée d'une beauté qui n'est pas de ce monde, réservée à ceux qui sont en communication avec l'au-delà. On est proche d'une conception parnassienne du beau : intemporel, impersonnel, un travail formel proche de la sculpture.

 

2. Une mort artiste

la mort apparaît comme une force positive pour les artistes ratés : source d’espoir, elle est assimilée à un soleil permettant aux fleurs de s’épanouir. La mort remplace ainsi les artistes (elle devient la figure ultime de l’artiste), et les fleurs du cerveau remplacent les fleurs de marbre qui ornent les tombes. Ce ne sont plus les sculpteurs qui font s’épanouir les fleurs, c’est la mort.

Ce ne sont plus des fleurs, mais des fleurs métaphoriques, dont il est question. A proprement parler, ce n’est plus un objet, mais seulement un projet. La beauté moderne est plus dans l’idée, dans le concept, que dans la réalisation… n’est-ce pas la mort de l’art ? On comprend alors que le capitole soit sombre : le lieu de célébration des vainqueurs est teinté d’amertume, et on finit dans un poème qui est comme le tombeau de l’art moderne.

 

3. une création démoniaque

Le champ lexical de l’enfer nous permet de supposer que la création est liée au mal. Le poème vient alors justifier le titre du recueil. « Infernal, damnés, sombre »… brosse ici le portrait d’un enfer qui caractérise le poète. Son travail répétitif, sorte de torture Sisyphienne, fait également écho aux enfers grecs. On peut ajouter des images aux résonances diaboliques « morne caricature » (le diable est une sorte de caricature de Dieu), et la grande Créature…

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