séance 2 : lettres 2 et 4

Premier portrait des libertins

I. Le personnage de Merteuil

1. Elle fait preuve d'une grande autorité à l'égard de son complice. Le faux dialogue qu'elle invente dans les premières lignes a pour fonction de ridiculiser Valmont, rabaissé au rang « d'esprit lourd » et de « monstre ». Les complices ne sont donc pas sur un pied d'égalité, et les impératifs « prouvons » ou les verbes de volonté « j'exige » affirment cette autorité. Les phrases au futur témoignent également d'une certitude que Valmont suivra ses instructions « à 8 h, je vous rendrai votre liberté... ». Personnage autoritaire, voire tyrannique, ses désirs sont des ordres : elle vit dans le passé de la frustration (cf les analepses) ou dans l'avenir du désir (prolepses), et incarne ainsi la violence du désir insatisfait dans un impossible présent.

2. Elle rappelle cependant à Valmont la complicité qui les unit : elle utilise ainsi le pronom « nous » et établit un parallèle entre leurs mésaventures passées (lui avez-vous donc pardonné l'aventure de l'intendante ? Et moi, n'ai-je pas encore plus à me plaindre de lui…) dans le but de les rapprocher. Elle établit également un parallèle entre son amant, « le régnant chevalier » et Valmont à la fois pour exciter la jalousie de ce dernier, mais aussi pour le flatter, puisqu'elle affirme sa supériorité sur le chevalier qui « n'a pas assez de tête pour une si grande affaire ». Cette complicité joue sur un double mouvement de rapprochement / éloignement : on est dans la connivence et la confidence (on partage un secret), mais aussi dans le défi et la rivalité (l'opposition des sexes est rappelée, par exemple avec «vous autres hommes »). L'ambiguïté semble ainsi être le ciment de cette relation.

3. une perversité fascinante et effrayante : manipulatrice, Merteuil demande un service important à Valmont, tout en lui rappelant « vous n'avez qu'à me remercier et m'obéir » : elle inverse les rôles entre celui qui demande et celui qui remercie… Ce projet implique d'autre part de pervertir une innocente, qui n'a aucune responsabilité dans la trahison de Gercourt : elle insiste d'ailleurs sur la beauté et la fragilité de la future (stéréotypes de l'amour courtois tournés en dérision). Enfin, Merteuil espère tirer du plaisir de la publicité de cette affaire : le libertinage réside moins dans un plaisir sensuel que dans un plaisir sadique, visant à détruire l'existence sociale des obstacles.

Personnage diabolique, Merteuil se révèle dans ce premier portrait à la fois dominatrice, manipulatrice et cruelle.

 

II. La réponse de Valmont

1. il fait un portrait du libertinage : utilisant le vocabulaire de la guerre et de la religion, il place les libertins au-dessus du commun des mortels. Héros épique, conquérant visant à réduire les victimes à l'esclavage pour sa plus grande gloire, ou héros de sainteté, cherchant à inspirer une foi et des prosélytes, le libertin est un être d'exception. Les superlatifs (le plus grand projet que je n'ai jamais formé) ou les comparatifs (vingt autres peuvent y réussir comme moi) permettent d'ériger en modèles ces représentants d'un nouvel héroïsme (donner ave vous un exemple de constance au monde)…

2. Il utilise l'ironie de manière systématique : la tonalité épique est utilisée avec dérision, puisque la conquête n'est plus celle de territoires, mais de femmes. Le corps devient champ de bataille : là où il y avait grandeur, il n'y a plus que manipulation. De même, le vocabulaire religion est irrévérencieux, car Valmont envisage de séduire une bigote, et il s'exerce à employer ce langage pour mieux pervertir sa future proie. Dans une logique proche du blasphème, les mots deviennent ambigus : appeler Merteuil « Patronne » , c'est dégrader la notion de sainteté, mais c'est aussi jouer sur l'autorité dont elle fait preuve. L'ironie de Valmont sert aussi d'arme contre l'autorité orgueilleuse de Merteuil : les mots « charmants » et « aimables », aux lignes 1 et 2, sont à lire comme des antiphrases, et l'expression « chérir le despotisme » fait éclater à travers l'oxymore un refus de soumission ou de se laisser manipuler.

3. on est entre un duo et un duel : des effets de parallélismes entre les deux lettres font apparaître une violente rivalité. Au projet de Merteuil de séduire une innocente répond le projet de Valmont de séduire une femme vivant dans la religion : il y a surenchère dans la perversion des valeurs. A la vengeance personnelle de Merteuil répond le désir de gloire de Valmont : il y a surenchère dans la déclaration d'orgueil. A l'autorité de Merteuil répond le sarcasme et l'ironie de Valmont : autrement dit, à la manipulation des êtres répond la manipulation des mots… On est dans une logique de jeu, où chacun avance ses pions et annonce une stratégie pour obtenir l'admiration de l'autre.

Pour aller plus loin : les personnages utilisent deux stratégies argumentatives différentes :

 Merteuil est du côté de la persuasion : elle joue sur les sentiments de Valmont. Ainsi, elle rappelle leur histoire commune, et on comprend que Gercourt l'a quittée pour la maîtresse de Valmont. Soulignant cette trahison, elle vise à blesser l'orgueil de Valmont, et joue sur son amour-propre (elle l'appelle monstre). Son second argument repose sur la beauté de Cécile de Volanges, à travers un portrait érotisé (bouton de rose/regard langoureux...) qui vise à exciter l'appétit du monstre… Entièrement dans la persuasion, son discours est proche du récit : sa lettre est chronologique, elle revient sur les histoires passées, veut faire de Gercourt « la fable » de Paris, et de Cécile « l'héroïne de ce nouveau roman ». En cela, elle pourrait bien être une sorte de double de l'écrivain…

 

Valmont utilise l'art de convaincre : il s'adresse à l'intelligence de sa lectrice, et construit un discours logique témoignant d'une culture qui force l'admiration de sa rivale. On discours est ainsi organisé avec de nombreux connecteurs, explicites ou implicites. Sa phrase est ainsi tout en nuances, et c'est la finesse de son esprit d'analyse qui est mise en spectacle : exemple de la phrase 2 : « ce n'est pas la première fois… et tout monstre… je ne me rappelle jamais sans plaisir... » : spectacle du renversement de situation grâce au syllogisme. Son énonciation peut aller jusqu'à utiliser des maximes avec des présents de vérité générale « conquérir est notre destin, il faut le suivre ». Enfin, sa culture est manifeste à travers le vocabulaire religieux qu'il parodie, jusque dans la dernière phrase qui rappelle Ecce Homo… Tout entier dans l'art de convaincre, il utilise ainsi toutes les ressources d'un discours théâtral : il multiplie les verbes d'action, imagine des décors, répète un rôle comme un acteur. En cela, il pourrait également être une sorte de double de l'écrivain… comme si le roman avait 2 pôles, incarnés par les 2 personnages principaux.

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