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évaluation finale

exemple de commentaire rédigé

Voici un commentaire rédigé d’après un article d’Anne Giard, disponible sur internet, mais un peu complexe... et donc simplifié ici.

 

Giraudoux situe l'action de Intermezzo  dans une petite ville de province, où le cours « normal » des choses est bouleversé à partir du moment où un spectre fait son apparition. Quelques signes de désordre se sont produits : le plus pauvre a gagné le gros lot, les enfants battus quittent leurs parents, les gens qui meurent sont vieux et acariâtres ou avares... Des notables forment une commission d'enquête, à laquelle se joint un Inspecteur, spécialisé dans le combat contre «tout ce qui surgit d'anormal ou de mystérieux dans le département», bien décidé à ramener l'ordre. Dans cet extrait de la scène 6, acte I, le nouveau venu exerce ses fonctions d'inspecteur en interrogeant les élèves de la jeune Isabelle, qui remplace l'institutrice tombée malade et qui est soupçonnée d'avoir des rendez-vous avec le spectre. L'étude de ce passage s'attachera à montrer, à travers l'interaction entre les personnages, la perturbation progressive d'une situation de communication pourtant fortement institutionnalisée, puisqu'il s'agit d'une situation scolaire où les rôles dévolus aux participants sont nettement codés.

 

I. Une scène de conflit : l’affirmation d’une autorité autoritaire

Les pronoms personnels et les appellatifs qu'emploient respectivement l'Inspecteur et Isabelle constituent des indices de la différence des rapports qu'ils entretiennent avec les élèves : autorité et condescendance d'un côté, bienveillance et sollicitude de l'autre.

L'inspecteur s'installe dans l'interaction inégalitaire que suppose la situation d'examen : par sa fonction, par son âge, il est investi d'une autorité et d'une supériorité qui lui donnent le droit de tutoyer les jeunes élèves. Il parle d'abord à la cantonade : dans «Appelez la première », la deuxième personne du pluriel n'est pas la marque d'un vouvoiement mais réfère à la pluralité des élèves. N'ayant pas réussi à isoler la « première » du groupe, il s'adresse alors au hasard à l'une des filles. Si le tutoiement qu'il emploie est normal, l'association du pronom « toi » et du déictique « là-bas » confère à son apostrophe une certaine brusquerie. La position dominante que le personnage affiche se confirme dans l'«iloiement» qui exclut Gilberte de l'interlocution: «Écoutez-la! Sait-elle seulement ce qu'est un arbre! » L'emploi de la « non-personne » et la prise à témoin de l'assistance ont un caractère désobligeant, qui raille l'ignorance de la petite élève. Mais celle-ci perçoit parfaitement la dérision du déictique et, malicieusement, elle le reprend dans sa réponse : « C'est justement ce qu’elle sait le mieux, monsieur l'Inspecteur.» En parlant d'elle-même à la troisième personne, elle ironise en répétant le terme utilisé par l'Inspecteur. Par la manière dont il remplit ses fonctions, l'Inspecteur vise ainsi à accentuer l'inégalité entre adulte et enfant, examinateur et examiné. L'effet produit est caricatural.

En contraste, le tutoiement des élèves par Isabelle est l'indice d'une familiarité bienveillante envers les fillettes. Elle n'a pas besoin, pour asseoir son autorité, de l'affirmer. Un autre pronom personnel s'oppose également, dans l'extrait, aux significations attachées au tutoiement de l'Inspecteur: «Et si nous commencions l'examen ! » suggère le Maire. La valeur inclusive de ce « nous » (je + les autres) est de pure affabilité, puisque le représentant de l'Administration n'est pas impliqué dans la situation d'examen au même titre que les autres protagonistes : il en est le témoin, non l'un des participants. Ce pronom constitue par conséquent une marque de bonhomie qui rend sympathique un fonctionnaire conciliant et amène, lui. Un inspecteur, dont l'intervention dans une classe est ponctuelle, se trouve en face d'un groupe où des liens se sont formés au fil des heures et des journées de cours. Il n'est donc pas étonnant qu'Isabelle appelle ses élèves par leurs prénoms («Si tu le sais, dis-le, Gilberte. » «Parle de la fleur, Daisy.»). Mais l'Inspecteur se dispense de les apprendre alors que la demande du nom est une forme de prise de contact habituelle entre un adulte et un enfant, et entre un inspecteur et des élèves, la première interrogée du moins. L'Inspecteur remplace les noms par des apostrophes dont la valeur évolue au cours du dialogue. À «ma petite», condescendant, succède «petite effrontée», qui sanctionne le rire de Gilberte, où il a cru percevoir le dénigrement de la note attribuée, la contestation de la « place » de mauvaise élève, bref l'insupportable sape de son autorité.

II est intéressant de comparer les termes d'adresse que nous venons de relever avec les désignateurs que l'on trouve dans les didascalies. Un partage se dessine entre, d'une part, les personnages à dénomination constante, désignés par leur fonction sociale ou leur profession, le Maire, l'Inspecteur, le Contrôleur, tous adultes, hommes et fonctionnaires; d'autre part, les personnages à dénomination variable (Isabelle est «mademoiselle» et Gilberte n'a pas de nom, pour l'Inspecteur), portant un prénom, tous jeunes et même très jeunes, de sexe féminin et sans fonction sociale stable ou déterminée. C'est tout un monde aristocratique (Isabelle, Irène, prénoms de reine), littéraire («Gilberte» rappelle immanquablement Proust), musical (Viola) et floral (Daisy, dont le nom signifie « marguerite » ou « pâquerette » en anglais, parlera bien sûr de la fleur) qui est ainsi évoqué. Mais il ne s'oppose pas sans nuance au monde adulte et masculin. Dans le trio des fonctionnaires, l'Inspecteur est isolé. Le Maire ne s'est-il pas associé au monde juvénile et féminin en disant « nous » ! Et le Contrôleur, dans son unique réplique, elliptique et comme pensive, approuve l'explication d'Isabelle quant à son choix du zéro, chiffre bien évidemment essentiel pour un contrôleur des poids et mesures...

Ainsi, le rapport de forces qu'établit l'Inspecteur est déséquilibré par la coalition des autres personnages autour d'Isabelle et de ses élèves. L’évolution du dialogue affaiblit donc la domination que l'Inspecteur entend si visiblement exercer sur la petite classe ou la tournent en ridicule.

 

II. Le renversement de situation : l’autorité ridiculisée

Conformément à la «position haute» que lui confère sa fonction, l'Inspecteur accomplit de nombreux actes d'ordre et de questionnement. L'impératif a pleinement sa valeur modale directive dans les injonctions «Appelez la première», «Toi, là-bas, commence! », «Explique-moi la différence... », qui orientent la conduite verbale des destinataires : ce sont des réponses qui sont attendues et,à ce titre, l'ordre tend à se confondre avec le questionnement. «Explique-moi...», en particulier, pourrait être remplacé par «Quelle est la différence...!», sauf à perdre l'indice de la personne («Explique-moi»), qui rend la question plus coercitive. L'acte de questionnement se manifeste dans la phrase interrogative «En quoi es-tu la plus forte ! ». En revanche, «Sait-elle seulement ce qu'est un arbre ! » n'est pas une vraie question et équivaut à une assertion négative (= elle ne sait sans doute même pas ce qu'est un arbre), à laquelle la forme interrogative donne une vigueur méprisante. L'impératif qui précède, «Écoutez-la!», relève d'une analyse légèrement différente: il s'agit bien d'un ordre, mais non d'un ordre à exécuter. Ce qui est intimé est le consensus dans une réaction d'effarement devant l'ignorance de Gilberte. L'assistance est sommée de partager la stupéfaction de l'Inspecteur et son jugement très défavorable sur les élucubrations de l'élève.

Mais ce rapport de forces en faveur de l'Inspecteur s'inverse au cours de la scène, et le personnage va être progressivement délogé de sa position de domination. En situation d'examen, l'interrogateur connaît par avance la réponse aux questions qu'il pose et qui ont pour fonction de vérifier l'acquisition d'un savoir. Or certaines des questions de l'Inspecteur sortent de ce cadre et constituent de véritables demandes d'information. Elles sont provoquées par les réactions non verbales des élèves, que notent les didascalies : « (Mouvements.) Pourquoi ces mouvements ! », « (Elle rit.) Pourquoi cette joie, petite effrontée ! » Chaque fois, Isabelle lui fournit l'explication demandée, avec une simplicité que souligne l'emploi de «c'est que... », familier par comparaison avec «c'est parce que...», et avec une sérénité qui accentue l'ampleur de la révolution «suffocante» introduite à l'école. Par ailleurs, quand il pense ridiculiser les définitions des élèves en en explicitant lui-même la conclusion (« De sorte, ma petite, si je te comprends bien, que les racines sont le vrai feuillage. .. »), l'Inspecteur confirme involontairement leur savoir et reçoit l'approbation vigoureuse de Gilberte : « Exactement. » II s'est placé lui-même dans la position burlesque d'Inspecteur inspecté. Il s'est d'ailleurs déjà fait « reprendre », quand la même élève lui a rétorqué, avec les termes qu'un maître aurait employés : «J'ai dit en botanique, monsieur l'Inspecteur. » Peu importe que Gilberte se trompe, il est réjouissant de voir un tel renversement des rôles se produire. Tous ces ratés dans le déroulement de l'examen, auxquels il faut ajouter les réponses des élèves, qui énoncent des connaissances absolument inattendues, ébranlent la position de l'Inspecteur. Après avoir tenté quelques parades dérisoires, comme l'adjonction dépréciative « Ou toutes dernières, plus vraisemblablement», l'enchaînement à visée de dérision « Oui, surtout les épinards... » et la réprimande «petite effrontée», il en vient à démissionner de ses fonctions : « Continuez, mademoiselle. Interrogez vous-même. » Par la suite, l'ironie de sa maigre réplique « Très bien. Cela promet. » est balayée par le déferlement de la parole poétique des élèves, et il ne lui reste plus qu'à crier au scandale.

Le contraste entre Isabelle et l'Inspecteur se retrouve au niveau des actes de langage. Il en est un, révélateur, qu'elle n'accomplit pas: l'acte de questionner. Son incitation à la parole prend la forme injonctive, mais l'ordre devient demande, et l'impératif perd beaucoup de sa valeur directive dans la phrase « Si tu le sais, dis-le, Gilberte » : il est en effet assorti d'une conditionnelle qui laisse à l'élève le choix entre répondre ou se taire. Isabelle admet donc le non savoir et refuse la situation traditionnelle de l'examen comme vérification de connaissances obligatoirement acquises. Dans la suite de sa réplique, « Ces messieurs t'écoutent », le verbe transforme les juges en auditeurs bienveillants, et le désignateur légèrement pompeux « ces messieurs» confère à l'auditoire un caractère d'honorabilité qu'une petite fille ressent nécessairement comme gratifiant. L'acte de répondre perd ainsi sa fonction d'épreuve disqualifiante pour devenir à coup sûr une preuve glorifiante de savoir. Quand l'Inspecteur lui cède sa place d'examinateur en lui disant: «Interrogez vous-même», Isabelle prend le relais avec une formule qui exclut précisément la situation d'interrogatoire : «Parle de la fleur, Daisy. » Il ne s'agit plus d'évaluer des connaissances, mais de laisser librement s'exprimer celles qu'on a acquises par une sorte d'affinité profonde avec l'objet du savoir et, par exemple, celles qu'une fillette prénommée Daisy ne peut manquer d'avoir au sujet de la fleur. Notons encore la manière dont Isabelle implique l'Inspecteur quand elle justifie sa généralisation des « premières » de la classe : « Vous ne pensez pas que j'irais leur infliger des froissements d'amour-propre. » L'assertion négative contraint l'Inspecteur à adhérer à l'opinion d'Isabelle quant aux effets néfastes du classement des élèves, puisque cette opinion est présentée comme étant un « présupposé » ou comme une opinion que son interlocuteur ne peut que partager.

Les actes de langage révèlent, dans cet extrait, l'évolution des rapports entre les personnages et ils accentuent leurs contrastes. Il nous reste à observer ce qu'y devient la hiérarchie que l'Institution scolaire instaure entre les élèves d'une même classe.

 

III. une contestation des institutions scolaires

Trois moyens d'établir une hiérarchie dans une classe sont évoqués dans cet extrait. Isabelle, pour sa part, enraye le fonctionnement de deux d'entre eux; les fillettes se chargent spontanément d'éliminer le troisième.

La hiérarchie est d’abord mise à mal. Dans la terminologie scolaire du mérite, «la première» désigne la meilleure élève, toutes disciplines confondues. Isabelle abolit cette distinction, et le classement en ordre dégressif qu'elle entraîne («la seconde, la troisième»), en élargissant la notion d'excellence à des disciplines extra-scolaires comme la taille ou la loquacité. Isabelle continue d'employer des superlatifs, «la plus grande, la plus bavarde», mais le système qu'elle innove établit une miraculeuse égalité dans la supériorité : « elles sont toutes premières ». Par ce merveilleux tour de force, elle désamorce les effets nocifs du classement, censé stimuler les élèves par la compétition et la rivalité, en réalité dommageable pour l'enfant. Devant ce raz-de-marée qui emporte la traditionnelle hiérarchisation des élèves, l'Inspecteur, désorienté mais point encore abasourdi, conteste la généralisation du terme «première» («Ou toutes dernières, vraisemblablement»), en prenant le contre-pied d'Isabelle: l'égalité dans l'infériorité. Il parvient même à réorienter l'examen : la question « En quoi es-tu la plus forte ! » colmate provisoirement la brèche ouverte en rétablissant la notion d'excellence, individuelle cette fois, dans une matière d'enseignement. Et si Gilberte lui avait répondu : en bavardage ! Une nouvelle logique s'est mise en place, et l'Inspecteur n'y résistera pas.

Le deuxième coup est porté à propos de la notation. Quiconque a subi l'humiliation extrême du zéro, se sent rempli de reconnaissance à l'égard d'Isabelle. Car le zéro, chiffre dénotant la quantité nulle, notifie en langage scolaire la nullité. En pratiquant l'alliance des contraires, en rapprochant le zéro et l'infini, Isabelle ne se contente pas de dissiper d’éventuels mauvais souvenirs aux spectateurs, ni de rendre pensif le Contrôleur; elle renverse le système de notation de l'école et rejoint, dans une révolte joyeuse, les adynata, c'est-à-dire les motifs ludiques du «monde renversé».

Les élèves, enfin, enfreignent la distribution régulée des tours de parole. En situation d'examen, l'élève interrogée est en principe seule autorisée à donner une réponse. Or, à deux reprises dans l'extrait, des voix prennent le relais de celle de la fillette désignée, formant ainsi un choeur dont la polyphonie enchaîne harmonieusement les réponses : Irène et Viola prennent ainsi la suite de Gilberte, Gilberte et Viola celle de Daisy. Ces voix à l'unisson s'ajustent par une synecdoque s'épanouissant en anaphore («L'arbre...», «Par ses branches...», «Par ses racines...»), par une discrète coordination («Et ce sont les fleurs...») et par une variation lexicale gourmande de mots rares («la plante... l'oiseau… L'Ornithorynque... »). En guise de pied de nez à la fausse note de l'Inspecteur (« Oui, surtout les épinards...»), l'écho facétieux «Surtout le carnivore» clôt la série musicale des répliques alternées. Un accord si parfait ne peut que scandaliser un Inspecteur. Isabelle semble bien avoir transmis à ses jeunes élèves son aptitude exceptionnelle à installer l'harmonie et la poésie «sur le moment le plus vulgaire6 », celui, par exemple, d'un examen conduit par un fonctionnaire borné, et pudibond de surcroît. De la position de domination que l'Inspecteur s'évertue à mettre en place vis-à-vis des élèves, on ne décèle pas même une ombre dans les rapports qu'elles entretiennent entre elles. C'est donc à la base même de l'Institution, dans la population scolaire, que la notion de hiérarchie s'effrite. Preuve est faite que l'enseignement d'Isabelle a un effet désastreux sur la jeunesse.

 

L'autorité de l'Inspecteur est menacée par l'enseignement d'Isabelle. Le fonctionnaire ne s'y trompe pas plus qu'aux conséquences civiles et civiques qu'impliquent de telles modifications de la discipline scolaire et la propagation de telles connaissances. Sa dernière réplique, qui établit un lien entre l'enseignement d'Isabelle et «les événements du bourg » en est la preuve. Il avait déjà résumé ces derniers, très familièrement, en disant que « toute la morale bourgeoise [y était] cul par-dessus tête ». Il vient de faire passer un examen qui lui prouve que l'école est tout autant chahutée. La coupable est toute désignée. Dans cette dernière réplique rôde le souvenir effrayant des procès en sorcellerie. Mais Giraudoux n'a écrit qu'un «intermède». Le mot italien intermezzo désigne en langage de théâtre le divertissement que l'on donnait autrefois sur la scène pendant les entractes. Les bouleversements qu'on a évoqués ou étudiés dans cet extrait ne constitueront qu'une parenthèse comme, dans la vie d'Isabelle amoureuse du spectre mais aimée du Contrôleur, la tentation d'échapper à la vie « normale » ne sera qu'un moment, juste une transition. Cependant, le temps de cet interlude, le spectateur aura rêvé d'une école heureuse, d'un quotidien transfiguré et d'un monde meilleur.

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