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lecture analytique

le portrait de Quasimodo

I. Un anti portrait : un personnage chaotique

 

1. un corps hétéroclite : esthétique du mélange

> l’organisation de la description du visage est désordonnée et ne suit pas la progression classique : on part du nez – bouche – œil gauche – œil droit – dents – menton : sorte de spirale descendante pour le visage défiguré. C’est un portrait-grimace

> un microcosme qui renferme un macrocosme : ce corps est à la fois animal (défense d’éléphant), minéral (créneaux d’une forteresse), faisant référence à l’industrie (un système de cuisse) et à l’agriculture (deux croissants de faucilles)… « ce mélange », « cet ensemble » : manières de désigner le personnage comme une création inaboutie, avortée.

>> C’est un chaos qui renferme tout un cosmos.

 

2. un spectacle

> la volonté de montrer le personnage : une mise en scène / les démonstratifs

> Tête – cheveux – épaules – bosse – cuisses – genoux – pieds - mains : en une phrase également, marquée par l’absence de lien (asyndète), on a un portrait qui dévisage le personnage dans un portrait en pied, qui l’établit comme une figure grandie par la plongée.

>> le personnage est vu de loin puis de près : effet de zoom souligne la fascination exercée

 

3. un monstre mythique

> entre cyclope et géant, le personnage convoque un imaginaire merveilleux

> gargouille vivante, il incarne aussi un Moyen-Age rêvé par le romantique Hugo. Même la couleur de ses cheveux le rattache aux croyances populaires moyenâgeuses.

>> Quasimodo acquiert ici la dimension d’un monstre sacré, la foule le « reconnaît » et le baptise. La scène = une sorte d’accession au panthéon des monstres populaires.

 

II. L’épiphanie d’un monstre

 

1. esthétique carnavalesque du monde à l’envers

> la fête des fous se caractérise par l’inversion des valeurs : refus du beau traditionnel, sorte de révolution esthétique qui inspire le romantisme. On est sous le signe du paradoxe et de l’oxymore : « idéal du grotesque, grimace sublime... »

> il s'agit aussi d'un renversement esthétique, puisque le laid devient une sorte d'idéal

 

2. un héros parodique : un monstre « sacré »

> la formulation grandiloquente : « tel était le pape que les fous venaient de se donner » et expressions superlatives rendent hommage à la laideur : « la perfection de sa laideur » fait vaciller les critères esthétiques.

> la foule devient le relais du narrateur : « l’acclamation fut unanime », « la populace s’écria d’une seule voix »… on a une parodie du registre épique où le héros incarne les valeurs fédératrices de la communauté.

>> dimension critique, engagée de la parodie : il s’agit moins de critiquer la notion de héros que de proposer un nouvel idéal esthétique

 

3. un être au-delà de l’humain : un héros romantique

> immortalisé par le trou de la rosace qui le place au cœur d’un vitrail (à l’image d’un saint Michel… ou du dragon terrassé?), grandi à travers l’expression « pape » des fous, admiré par une ferveur populaire, le personnage acquiert une dimension religieuse, surhumaine.

> La lumière qui « rayonnait », la foule « éblouie » laisse penser à une transfiguration. Mi-homme, mi Dieu, le personnage qui fait corps avec la cathédrale est un héros au sens antique. Expression qui rapproche l’homme du divin : « Dieu sait quelle intensité de laideur son visage pouvait atteindre ». La posture du personnage est symbolique : il est « sur le seuil de la chapelle », entre le monde sacré et l’univers profane.

> Il va avoir des sur-noms qui résonnent comme autant d’épithètes homériques : « le sonneur de cloches, le bossu de Notre-Dame, le borgne, le bancal... »

 

III. Un défi pour l’écriture

 

1. une description impossible

> passage du démonstratif « ce nez... » à l’indéfini « une tête... » : on va vers l’imprécision, le mystère. La scène bascule vers l’imaginaire, on est au-delà du réel ; « qu’on rêve, si l’on peut, cet ensemble », et « je ne sais quelle allure » témoignent de la pauvreté du langage pour décrire le personnage.

> un personnage métaphorique : le recours constant aux expansions du nom vise à frapper l’imagination. On est obligé de passer par le détour d’un comparant.

>> la fausse prétérition « nous n’essaierons pas de donner au lecteur une idée... » témoigne du fait que le « monstre » ne peut être re-présenté. C’est une présence, une manifestation immédiate que la médiation du langage ne peut que déformer, défigurer...

 

2. le personnage fait éclater les cadres du roman

> être d’exception, Quasimodo fait éclater les cadres de pensée : « étrange exception à la règle éternelle... » : on est proche du fantastique, puisqu’on peut hésiter avec une intrusion du surnaturel. > La « merveilleuse grimace » ouvre même vers l’univers du merveilleux, où le surnaturel est admis sans difficulté.

>> le roman peut intégrer le réel comme l’imaginaire, c’est un genre hybride qui assimile le conte merveilleux, le fantastique, la réalité historique. Genre hybride, entre théâtralité de la scène et poétique de la laideur, le roman est monstrueux.

 

3. une image du texte hugolien

> poétique du laid : la laideur engendre une imagination fertile. La phrase est de plus en plus longue « ce nez tétraèdre » / « cette bouche en fer à cheval » / « ce petit œil gauche obstrué d’un sourcil en broussailles »… La laideur inspire et fait de ce texte un contre blason poétique.

> une phrase monstrueuse : l’écriture ne cesse alors de se corriger pour préciser « ou plutôt toute sa personne était une grimace ». L’épanorthose fait éclater la syntaxe, la phrase devient bancale. Phrase défigurée, la description du personnage est dépourvue de verbe « Une grosse tête... » : on a une phrase monstrueuse, avec des indépendantes juxtaposées comme autant d’éléments d’une hydre...

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