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la fin de l'automne

lecture analytique

le poème, second du recueil après la pluie, entre dans un cycle qui tourne autour de l’élément liquide. Face au désastre diluvien, à la puissance des éléments, le poème reconstruit un ordre, décompose la saison en images familières, rétablit une chronologie et informe le temps de la nature par une succession d’analogies pour lutter contre l’expansion du concept automne, devenu objeu. L’assimilation de la Nature à une ménagère décoiffée, aux prises avec un beau nettoyage, lutte contre l’idée du symbolisme conventionnel de la dégradation, de la mélancolie et de la mort associées à l’automne. L’écriture prend le contre-pied de la tradition, désaffublant la poésie des idées reçues venues du romantisme. La transformation de l’imagerie ancienne dans le réseau métaphorique du poème prélude à une prise de conscience, à une nouvelle appréhension de l’automne. Dans un va-et-vient constant entre le texte et l’objet désigné, naîtra le plaisir poétique, résultat d’une genèse des choses par les mots.

 

I. L’analogie métaphorique

A. La saison froide et humide

> première métaphore : l’automne-tisane, qui se déploie dans le paragraphe. Le breuvage guérisseur dont les vertus se sont épanouies imprègne les « compresses » appliquées sur une jambe de bois : effet stérile donc, puisqu’il faut attendre le printemps pour apercevoir la guérison avec les « petits bourgeons ». A la pluie s’oppose l’alcool dispensateur de vie par la « fermentation » qui suppose chaleur et bouillonnement.

> le monde végétal est bien mort : la négation « pas de fermentation, de création » fait écho au bois mort. La tisane évoque un automne malade dans l’image familière de la chambre, dans la réduction de la tasse où refroidissent les « essences » médicinales dépourvues de leur pouvoir.

 

B. Le dépouillement

> après la pluie immobilisée dans la tasse, le vent ouvre l’espace dans un bruit de sifflantes « se fait en désordre ». Les verbes pronominaux animent l’inanimé, dans un mouvement de désordre et de destruction déjà à l’oeuvre dans le préfixe « dé ». L’image du dépouillement transforme les « feuilles mortes » (synecdoque de l’automne), en bulletins de vote, puis en feuillets, pages, livres…

> On se débarrasse de ces pages mortes dans un moment de colère souligné par les impératifs « Au panier », par les adverbes « rageusement » et « violemment »… La destruction de la bibliothèque est nécessaire pour se défaire des idées anciennes avant l’émergence d’une nouvelle vision de la saison mélancolique.

 

C. Un beau nettoyage

> troisième réseau métaphorique : la lessive. L’eau « s’infiltre », elle « imprègne », « les ruisseaux se multiplient », elle « trempe » et « ne sèche pas tout de suite ». L’élément liquide, d’abord inquiétant, est ainsi apprivoisé, et réalise la guérison attendue du 1er paragraphe : « l’amphibiguïté » est « salubre ». L’homme « trempé jusqu’aux os » reprend sa place dans la nature, purifiée.

 

 

II. L’anthropomorphisme : une poésie humaniste

A. La personnification

> la nature rejoint l’homme. Le pronom « elle » favorise l’incertitude, « les bras ballants » et la tête « décoiffée », « les idées rafraîchies » également. De même, la terre a repris son « air sérieux » et ses « chaussures »

> le texte propose ainsi une communion heureuse entre les éléments. La Nature, double du poète, aspire « avec délices » le vent glacé. Les connotations négatives de l’eau et du vent, présentes au début du texte, cèdent la place à des connotations très positives.

 

B. Une nature poète

> Le poème nous invite à une analogie sensuelle entre la nature et le poète, « la tête dans la brume », entre la terre et le vagabond, dans leur errance.

> le vocabulaire caractérise le retour du printemps avec l’apparition des bourgeons « gourds et rougeauds », comme des doigts qui ont froid.

> L’utilisation de clichés familiers « ils savent ce qu’ils font », « de quoi il retourne », « en connaissance de cause » poursuit l’analogie entre une nature raisonnable et le comparant implicite de tout le poème : le poète.

 

C. Le refus du symbolisme

> l’idée de l’automne qui émerge est débarrassée du symbolisme qui lui est attaché par la tradition littéraire. On est invité à reconstruire la saison à partir de la sensation immédiate et quotidienne, et cet enjeu nécessite un mouvement de destruction et de reconstruction qu’illustre sa progression.

> le début du poème inaugure une fin, comme son titre.

 

III. L’objeu et l’objoie :

 

A. Le plan du poème

> le poème poursuit deux mouvements successifs : une description de quatre paragraphes égaux en longueur et qui ouvrent sur un univers mouillé, puis un commentaire en quatre volets où domine le langage oral et familier (phrases sans verbes, exclamatives). Plus de progression spatiale ou temporelle, mais des constats sur la permanence de l’eau synonyme de régénération. La phrase centrale qui sépare les deux parties exprime cette activité régénératrice

 

B. l’objeu

> les deux néologismes (grenouillerie, amphibiguïté) orientent notre lecture d’une régénération. La grenouille, animal amphibie, saute de pierre en pierre (ce qui est souligné par les allitérations en p) et son ambiguïté de nature évoque la terre infiltrée, et contamine « tout ».

> Par analogie de signifiants, « grenouillerie » évoque aussi « grouiller », « grenouiller », toute une activité que l’on perçoit confusément et qui prend forces et formes.

 

C. L’éthique de l’écriture

> le poème tout entier est une allégorie de cette écriture poétique qui nous libère des clichés littéraires sur l’automne. Le poème s’achève sur un zeugme qui évoque une autre histoire dont le signifié est multiple : autre saison, autre poème. Le cliché familier suggère une suite dans dans le cycle des saisons que dans l’écriture poétique.

> Derrière la règle noire se profile l’image de l’écolier et de l’odeur de l’automne, de la rentrée des classes, à laquelle nous ramène le texte d’un trait de crayon bien droit. Après le temps de la dilution, de la dispersion, vient le temps de fixer l’objet dans le poème. On a une image de l’encre qui s’apprête à sécher : « cela dure, ne sèche pas tout de suite ». Avec « les idées rafraîchies », il faut reprendre « son air sérieux », « le comique perd ses droits ».

 

Le nettoyage a eu lieu dans la nature comme dans le poème, les images anciennes ont été lavées par un regard humaniste et matérialiste qui prend possession de la nature et du cycle des saisons pour les fixer sur la page et arrêter d’un trait ferme l’expérience symboliste. La poésie de Ponge nous donne à revivre une expérience immédiate, les choses et les mots se rejoignent dans une expérience sensible qui nous permet d’avoir un rapport au monde renouvelé, jouissif.

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