bilan de séquence

quelques pistes évoquées en classe

Une histoire sur le temps : simultanéité des actions et fragmentation du dialogue

La pièce produit souvent l’impression d’un puzzle dont il faudrait assembler les morceaux : l’action se démultiplie en une infinité de lieux, et d’histoires. On a même des ellipses incroyables : nous avons le témoignage de Nawal au procès d’Abou Tarek, mais nous n’avons pas le verdict du procès, nous savons que les jumeaux remettent leur lettre, mais nous ne connaissons pas l’impact de cette révélation sur Nihad. Le présent de l’énonciation est hanté par les fantômes du passé, qui expliquent la présence des différentes Nawal.

Le but semble être de faire dialoguer les vivants et les morts. Hemile Lebel, en effet, joue le rôle d’un passeur, d’un guide testamentaire. La voix des disparus est celle qui permet de faire passer du silence, ou du bruit… à une parole qui a du sens.

La pièce construit ainsi des effets d’échos qui font de la parole une parole poétique, habitée. Des expressions (maintenant que nous sommes ensemble, tout va mieux / l’enfance est un couteau planté dans la gorge) des objets (le nez de clown / le testament) qui reviennent fréquemment rythment la pièce et servent ainsi à faire le lien entre les époques. La polyphonie répond à la fragmentation : la construction musicale de la pièce nous fait passer du chaos au logos.

 

Témoigner et consoler

Incendies met en scène la quête d’une parole capable de rendre compte des horreurs du monde. Nawal est alors une figure du témoignage : elle a vu l’embrasement du bus, elle a été victime de torture et du viol, et sa parole visant à réclamer la justice culminera lors de son témoignage au procès. Derrière Nawal, le discours engagé de Mouawad se fait entendre, et la pièce vise à rendre compte d’une dénonciation des horreurs vécues (correspondant aux larmes de Simon dans la dernière scène).

Mais la parole de Nawal est aussi une parole visant à consoler. Cette parole consolatrice culmine avec les lettres envoyées, en guise de testament, aux enfants. C’est ici le pôle lyrique de la pièce, qui trouve son origine dans l’histoire avec Wahab, et qui défend le partie de la vie, de la beauté et de l’humanité (correspondant au sourire de Jeanne dans la dernière scène).

Les jumeaux incarnent donc cette dualité entre la nécessité d’un engagement et la nécessité d’un apaisement, entre le besoin de témoigner / de consoler.

 

Une tragédie moderne : Incendies et la tragédie grecque

Les emprunts directs aux mythes sont fragmentaires, voire déplacés. On peut rapprocher l’inceste de l’histoire d’Oedipe, mais sans le meurtre du père… Ce n’est pas Nihad qui a été confié à un berger, mais les jumeaux, qui ont été ainsi recueillis. De même, le silence de Nawal peut être rapproché de l’aveuglement d’Oedipe… Ainsi, on a des effets d’échos lointains, mais la pièce emprunte surtout la construction de la tragédie.

Le rôle de Lebel, proche du coryphée, la structure de la pièce, avec un prologue et un épilogue, mais aussi le fait de raconter l’horreur plutôt que de la montrer (cf le discours du messager dans Oedipe roi) rapprochent la pièce de la tragédie. Cependant, on montre aussi la violence lors du meurtre du milicien ou du photographe… Il y a donc aussi un désir de s’éloigner du tragique, de le refuser. En témoigne le ton parfois comique de Lebel. Surtout, la pièce ne vise pas seulement à inspirer l’horreur et la pitié devant les incendies, mais elle vise à les éteindre (c'est le sens de la pluie, lors de l'ultime didascalie).

La pièce pose alors la question du sens de l’Histoire, de la fatalité, ou de la liberté. Le débat se pose dans le dialogue entre Nawal et Sawda : la violence est d’abord vécue comme une fatalité, les rôles de victimes et de bourreaux s’engendrant irrémédiablement. Cette liberté impossible est ensuite mise en scène à travers le choix impossible imposé à une mère qui doit choisir le fils qu’elle veut épargner. Mais le pouvoir de chanter semble pouvoir ensuite faire évoluer le dilemme : ta voix sera ma voix et nous serons ensemble : par le chant, il y a la possibilité non pas de sélectionner (qui on élimine), mais de réunir.

La condamnation de l’hybris : la tragédie condamne le héros orgueilleux qui brave les dieux. Le rôle de Nihad est ici au centre. Ce personnage monstrueux est celui qui incarne cet excès, cet hybris. Lors de la scène du meurtre du photographe, il parle une autre langue, il chante, mais dans une langue étrangère, et devient ainsi étranger à toute humanité.

La catharsis : une pièce sur le deuil, sur la purgation de la violence, visant à exorciser les démons du passé.

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