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chapitre 6

lecture analytique

Un texte remarquable en raison de la superposition d’interprétations rendues possibles par le mélange des genres, des registres, des références qui invitent à méditer, creuser, approfondir le sens.

 

I. Une lecture esthétique : une lecture méditative de cette vanité

 

1. un repliement sur soi

> une attitude méditative : récurrence des verbes « il rêvait », « il songeait », « il rêva » : on est dans une attitude contemplative, une passivité qui relève de la rêverie, de la réceptivité. Le personnage fait un retour sur lui-même, souligné par les irruptions du point de vue interne.

> les lieux qu’il habite sont sous le signe de ce repliement sur soi, on est proche de la cellule du moine. « La barque » écaillée peut être une image de sa psychée, il s’enferme « sous les voûtes de la cave » dans un endroit monacal superlatif (« dans la nuit de la cave »), avant de gagner « la cabane du jardin » (« dans le souci où il était de n’être à portée d’aucune oreille » / « sans que personne au monde pût porter quelque jugement »)

>> un repli religieux (le pain et les gaufrettes = signes de la communion) conforme à l’esthétique janséniste

 

2. un tableau de la vanité

> « il avait renoncé à toutes les choses qu’il aimait sur cette terre, les instruments, les fleurs, les pâtisseries, les partitions roulées, les cerfs-volants, les plats d’étain, les vins » : on a un inventaire des motifs de nature morte rappelant le genre pictural de la vanité.

> « il posa sur le tapis bleu clair qui recouvrait la table où il dépliait son pupitrela carafe de vin garnie de paille, le verre à vin à pied qu’il remplit, un plat d’étain contenant quelques gaufrettes enroulées » : c’est une ekphrasis du tableau de Baugin.

>> esthétique pictuale du 17ème

 

3. un regard intérieur

> une peinture de visions « il concentrait son regard sur les vagues de l’onde » : le mouvement est hypnotisant, « il aimait le balancement que donnait l’eau », favorable à l’entrée dans un état second, comme le vin.

> un souvenir de plus en plus précis « il songeait à sa femme, à l’entrain qu’elle mettait en toutes choses, aux conseils avisés qu’elle lui donnait quand il les lui demandait, à ses hanches et à son grand ventre qui lui avaient donné deux filles » : le souvenir est d’abord abstrait, pluriel, puis au rythme berçant de la phrase, il se fait précis, hypotypose…

>> les larmes = la manifestation de ce regard habité

 

II. Une lecture fantastique : la descente aux enfers

 

1. une mélancolie régressive

> les signes de la mélancolie, mélancolie se définit au 17ème comme une sorte de maladie mortelle de l’âme, l’acédie, un débordement de bile ou d’humeur noire « les jours où l’humeur et le temps... » .

> une régression à l’état de nature « il aimait le balancement que donnait l’eau, le feuillage des branches des saules… et le silence et l’attention des pêcheurs plus loin » : il fait corps avec la nature, au point de se fondre en elle « il faisait glisser ses chausses et ôtait sa chemise et pénétrait doucement dans l’eau fraîche... ».

>> C’est un désir de disparaître, un désir mortifère.

 

2. irruption du surnaturel

> rêves et songes, le vocabulaire fantastique

> l’apparition fantastique

>> on a deux lectures possibles : la folie du mélancolique (explication rationnelle) / le pouvoir orphique de la musique (explication surnaturelle).

 

3. réécriture de la descente aux enfers

> un décor symbolique, depuis la barque qui rappelle Charon sur le Styx jusqu’à « l’été, quand il faisait très chaud », qui peut devenir le symbole de la chaleur infernale. L’eau et la mort son liées, ce qu’on remarque dans le Tomb/eau des Regrets

> l’ensevelissement, une descente intérieure. L’eau n’est pas baptismale, mais au contraire, une eau dormante qui ensevelit. « il rêva qu’il pénétrait dans l’eau obscure et qu’il y séjournait » : le séjour dans les profondeurs se lit comme un franchissement de « la surface de l’eau », le basculement vers le monde d’Hadès.

 

III. Une lecture mythologique : la réécriture d’Orphée

 

1. l’obsession de l’absente

> une scène itérative « les jours où », « l’été »… témoignent d’un temps itératif avec la multiplication des imparfaits d’habitude qui signifie l’impossibilité de l’oubli. « sa main se dirigeait d’elle-même » : il y a une mémoire corporelle, tout son corps est sous l’emprise du souvenir

> progression envahissante dans le texte : « il songeait à sa femme » / « quand son épouse l’avait quitté une nuit » (on passe de la position d’objet à celle de sujet) / une femme très pâle apparut / C’était sa femme »…

>> la présence de l’absente est manifestée par sa représentation

 

2. le pouvoir de la musique

> une musique qui fait communiquer les mondes des vivants et des morts : « la barque avait l’apparence d’une grande viole... ouverte », la musique sert ainsi, comme la métaphore, à relier l’ici et l’ailleurs.
> une musique divine : « pouvoir essayer les positions de la main et tous les mouvements possibles de son archet sans que personne au monde... » : la description fait penser à quelque rituel magique, réservé aux initiés… Le livret prend des allures de grimoire, de formule incantatoire « Il n’eut pas besoin de se reporter à son livre. Sa main se dirigeait d’elle-même ».

 

3. nourrir la frustration

> une fin pessimiste (le verre « à moitié vide ») et l’expression de la gaufrette à demi « rongée » est nettement péjorative. La « soif » ressentie au souvenir de l’écriture du Tombeau ne risque pas d’être étanchée.

> une communion limitée « une femme très pâle apparut qui lui souriait tout en posant le doigt sur son sourire en signe qu’elle ne parlerait pas et qu’il ne se dérangeât pas de ce qu’il était en train de faire ». Le silence de la femme s’oppose au « chant » de l’époux : « elle contourna en silence le pupitre » « elle s’assit... et elle l’écouta » : la communication est à sens unique.

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