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bilan de séquence

Lorenzaccio, une tragédie du langage et de la vérité

Au bal des Nasi, le duc et Lorenzo se déguisent en nonnes. Lorenzo vit sous le masque de Lorenzaccio, et le cardinal Cibo dissimule sous la pourpre son ambition personnelle. Florence est une ville masquée : on s’y masque par le jeu, le carnaval, mais aussi pour se protéger, pour égarer le regard de l’autre. La vie est régie par l’opposition entre l’exhibition d’une apparence trompeuse et la réalité qu’elle doit cacher.

 

I. Un monde de masques

1. L’identité, piège des apparences

> on est amené, comme les personnages à se poser la question de l’identité du héros. Ne pas se poser la question, c’est risquer sa vie, comme Alexandre. Le duc a foi dans les apparences, « regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés » : il est dans l’illusion, littéralement hypnotisé.

De même, Marie se consume dans l’affirmation d’une identité de son fils fondée sur son apparence : « comme une fumée malfaisante, la souillure de son cœur lui est montée au viasge » Elle confond le rôle qu’il a pris et l’acteur qui a endossé ce rôle. Et en même temps, son rôle l’a transformé : « la vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau »

> Affirmer une identité, c’est se perdre dans une confusion mortelle. Philippe Strozzi et le marquise Cibo perçoivent une identité complexe, et s’assurent une relation plus étroite avec la vérité.

 

2. Duplicité des corps

> le corps fonctionne comme un masque. Le corps exténué de Lorenzo ne supporte pas la vue d’une épée, mais il a assez de vigueur pour faire des armes. Le corps érotisé du duc affiche une indépendance (il agit pour lui) qui camoufle l’origine étrangère de la politique qu’il met en œuvre (il agit pour l’empire germanique). La marquise Cibo offre son corps dans le but de mener à bien une projet de politique réformiste…

> les vêtements assument une fonction d’enveloppement, de tromperie. Dès le lever de rideau, le duc et Lorenzo paraissent « couverts de leur manteau ». La cotte de maille du duc a d’ailleurs pour fonction d’envelopper le corps derrière une parade. Lorsque la sœur de Maffio est séduite, son frère la voit passer avec « un collier brillant qui étincelle sur sa poitrine aux rayons de la lune », signe de sa transformation en courtisane. A la fin de l’acte, sa métamorphose est achevée, le collier fait place à « une robe comme n’en a pas l’impératrice ».

 

3. Le langage de l’illusion

> à travers le drame, on perçoit ainsi un flottement de la nomination : hommes et objets renvoient à autre chose que le nom qu’on leur impose. « on a remplacé le pilier devenu clocher par un gros pâté informe fait de boue et de crachat, et on a appelé cela citadelle » / « pauvre humanité, quel nom portes-tu donc ? Celui de ta race ou celui de ton baptême ? » / « César a vendu son ombre au diable : cette ombre impériale se promène affublée d’une robe rouge, sous le nom de Cibo »…

> le nom ne rend pas compte de son objet : comme un vernis, il le recouvre, le camoufle. Lorenzo est celui qui perçoit la duplicité du lanage ; il est à l’affût de « ce qui n’est pas dit » par le discours d’autrui. Derrière la douleur de Strozzi, il entend l’appel d’un rêve idéaliste qui ne s’exprime pas « N’avez-vous dans la tête que cela- délivrer vos fils ? Mettez la main sur la conscience – quelque autre pensée plus vaste, plus terrible, ne vous entraîne-t-elle pas... ». Le discours s’apparente souvent à du vent, et l’éloquence est ainsi dénoncée comme un jeu visant à manipuler « Pas un mot ? Pas un beau petit mot bien sonore ? Vous ne connaissez pas la véritable éloquence... »

 

II. La mise à nu de la vérité

 

1. L’effraction de la dépouille

> Dans cet univers du leurre, l’accès à la vérité est assimilable à une effraction, voire à une vivisection. « pour comprendre l’exaltation fiévreuse qui a enfanté en moi le Lorenzo qui te parle, il faudrait que mon cerveau et mes entrailles fussent à nu sous le scalpel ».

> dans cette perspective, la scène de l’épée peut être déchiffrée. L’arme devant laquelle Lorenzo feint de s’évanouir, c’est l’instrument de la connaissance, l'épée qui pénètre au cœur, qui révèle les secrets. Qu’il saisisse l’épée virilement, et Lorenzo se dévoile… De même, la scène du meurtre est une mise à nu du Mal « ce cœur, jusque auquel une armée ne serait pas parvenue en un an, il est maintenant à nu sous ma main, je n’ai qu’à y laisser tomber mon stylet pour qu’il y entre » : il y a un rêve d’effraction du corps, avec Scoroncolo « ouvre-lui les entrailles, fouille dans la gorge » « au cœur, au cœur, il est éventré »

 

2. les noces de sang

> ce scénario de la pénétration du corps de l’autre, de l’effraction initiatique, c’est aussi celui de l’acte sexuel. « o jour de sang, jour de mes noces » fait écho à l’invitation à Tebaldeo « je veux te faire peindre un tableau d’importance pour le jour de mes noces ». Le décor de la scène du meurtre est d’ailleurs une chambre nuptiale, et Lorenzo mordu au doigt s’exclame « je garderai jusqu’à la mort cette bague sanglante »

> l’équivalence entre le meurtre et les noces peut se lire comme la reconquête d’une virilité, qui restaure l’être véridique en pulvérisant les apparences. La féminisation du personnage disparaît avec le couteau phallique qui déchire les illusions.

 

III. Deux modes de connaissances : Surface et profondeur

1. le chatoiement des surfaces

> premier mode de connaissance, la contemplation de l’écorce des choses. Tebaldeo, l’artiste, incarne cette vision idéaliste qui admire les surfaces peintes.

> Strozzi dans une certaine mesure, s’illusionne de la même façon sur Lorenzo. Si Philippe restait « immobile au bord de l’océan des hommes », Lorenzo s’est « enfoncé dans cette mer houleuse de la vie » : « j’en ai parcouru toutes les profondeurs… tandis que vous admiriez la surface... »

>> C’est une connaissance sans effraction, l’illusion d’un accès à la vérité sans passer par la violence de l’effraction.

 

2. l’exploration des profondeurs

> l’imaginaire de l’effraction ouvre sur le vertige de la chute. Lorenzo est l’homme de l’exploration des profondeurs. « Quel abyme !» s’exclame Philippe devant Lorenzo… Une lecture religieuse, infernale, est alors possible, et rapproche Lorenzo du mythe faustien.

> c’est que la vérité enfouie est monstrueuse «  l’Humanité souleva sa robe et me montra sa monstrueuse nudité ».

 

3. un savoir tragique

> Plonger, soulever les voiles, pénétrer par effraction jusqu’au noyau de la vérité monstrueuse se paie cependant : le personnage se trouve vidé de lui-même. « je suis plus creux et plus vide su’une statue de fer-blanc ». La profondeur débouche sur le vide, le néant.

> la fin de Lorenzo est alors pleine d’ironie : il est frappé par derrière, et son corps est englouti par la lagune. Le plongeur est plongé dans les profondeurs.

 

Conclusion : une pièce qui choisit de creuser la profondeur : c’est le propre du théâtre dans le théâtre, de la mise en « abyme »… cf acte IV, 9, véritable pièce dans la pièce.

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