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l'incipit

lecture analytique

I. Un incipit déroutant, « l'écriture blanche » entre journal intime et chronique de fait divers

 

1. les marques de l'intime

> l'omniprésence de la première personne et les connecteurs temporels « aujourd'hui, hier, demain, dans l'après-midi... » tendent vers le journal intime.

> L'écriture est proche de la notation, avec des phrases courtes, guère plus construites que le télégramme, réduites parfois à une structure grammaticale minimale.

>> les autocorrections et le modalisateurs (peut-être/sans doute...) miment ainsi le mouvement d'une conscience avec un effet de réel qui renforce l'idée qu'on entre dans la conscience du personnage.

 

2. le degré zéro de la conscience

> la temporalité est réduite. Dès le premier paragraphe, hier-aujourd'hui-demain constitue le seul horizon possible : rien avant (pas de souvenirs), rien après (pas de projection) : on est dans la pure présence à l'instant.

> les enchaînements d'actions sont mécaniques : l'absence de liens entre les actions (asyndète) crée un malaise, un effet de passivité. « l'asile est à deux km du village. J'ai fait le chemin à pied. J'ai voulu voir maman tout de suite ». Tout est sur le même plan : la mort de la mère comme la sieste contre le militaire...

>> l'écriture de la conscience est surprenante dans la mesure où le personnage semble inconscient.

 

3. rupture avec les codes du roman : l'absence d'intériorité

> l'absence de description ampute la focalisation interne de son intérêt, c'est comme si le personnage n'avait pas de point de vue.

> l'absence de marques de subjectivité, d'implication personnelle, mine également l'expression de l'intime. On a un personnage qui semble dépourvu d'intériorité.

>> Plus ironique, ce début sonne comme une fin. On commence par la mort… et plus spécifiquement la mort de la mère (celle qui donne la vie).

 

Transition : Cette écriture blanche définit le héros désincarné.

 

II. Un personnage déroutant, « un étranger » entre indifférence et déni

 

1. l'indifférence révoltante de Meursault

> La mort de la mère n'éveille pas de registre tragique. La seule modification entraînée par cette mort est celle de l'emploi du temps et encore, le narrateur va manger chez Céleste, « comme d'habitude ». Plus révoltant encore, l'idée d'assimiler le deuil à « une excuse pareille » pour prendre deux jours de congés est absolument immorale.

> les sentiments sont perceptibles uniquement chez les autres personnages : « ils avaient tous beaucoup de peine pour moi » et « on n'a qu'une mère ». Meursault est pris entre l'expression du haut degré (tous / beaucoup) et la négation restrictive (ne… que), mais semble incapable de comprendre ces excès d'humeur.

>> le personnage semble ainsi étranger aux autres…

 

2. un inconscient

> dépourvu de sentiments, le personnage est entièrement tourné vers ses sensations. Dépourvu de vie intérieure, son rapport au monde est tourné vers l'extérieur : «  Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi » : le toucher, l'odeur, la vue semblent avoir une action directe sur le personnage.

> Meursault n'agit pas, mais réagit, il subit les événements, et n'a pas vraiment de personnalité. Par exemple, il ne conduit pas, mais se fait conduire. Personnage essentiellement passif, son sommeil peut être symbolique et signifier son inconscience.

>> Le personnage est ainsi étranger à lui-même

 

3. une attitude de déni ?

> On peut alors supposer que le personnage est sous le choc, et que la perte de sa mère fait éclater un sentiment de contingence qui l'éloigne du réel. Le refus de parler au militaire peut s'interpréter comme une impossibilité de parler dans un tel moment.

> L'emploi du terme « maman » au lieu de « mère » signale une proximité originelle. La précipitation « j'ai couru pour ne pas manquer le départ » ou « j'ai voulu voir maman tout de suite » évoquent les traces d'un trouble

 

Transition : identification impossible avec ce personnage étranger à toute humanité, rendu monstrueux.

 

III. Une plongée dans l'univers de l'absurde

 

1. la perte du sens 

> la mort de la mère signe donc la perte des repères du personnage (repères dans le temps, l'espace, la société, la logique…) et fait surgir la notion d'absurde. « Cela ne veut rien dire ». Le langage officiel, qui permet de vivre en société, ne permet pas de saisir le sens de la mort.

> La société ne peut donner, à travers ses rituels (l'enterrement, le télégramme, le discours stéréotypé des amis)… qu'une « allure officielle » et l'apparence d'une « affaire classée ». Tout discours, devant la mort, devient ironique (sentiments distingués), vide de sens et stéréotypé (on n'a qu'une mère), ou vain (j'ai dit oui pour ne plus avoir à parler).

>> La mort affecte le langage, qui ne permet plus de communiquer. En fait, le sens de la mort ne peut être donné par la société, c'est une expérience intime, intérieure, que le personnage ne semble pouvoir faire.

 

2. un monde oppressant

> Pourtant, c'est un monde où la mort est partout. Le don du brassard et de la cravate en témoigne : c'est la marque d'une condition humaine tragique. La cravate qui serre le cou et le brassard qui serre le bras sont presque des symboles qui préparent à la mort. La mort est partout, et elle fait surgir l'absurdité de notre condition humaine.

> les personnages qui peuplent cet univers sont tous des figures d'autorité : le patron ou le militaire sont les représentants anonymes de l'oppression.

>> C'est un univers kafkaïen où les affaires personnelles doivent être classées dans l'administration anonyme qui régit nos vies.

 

3. le sentiment de culpabilité

La société apparaît comme une force oppressante et aliénante. Elle apparaît sous 3 formes : le télégramme de l'asile, la figure du patron, et le militaire du bus.

> Le télégramme est d'une violence rare. Sur le même plan, on a un discours très personnel (mère décédée) et une formule de politesse (sentiments distingués). On peut alors percevoir une forme d'ironie grinçante, dans la mesure où les sentiments exprimés ne peuvent être distingués, ou dans la mesure où le personnage n'a précisément pas de sentiments… et met tout sur le même plan…

> Les figures du patron et du militaire représentent une autorité implacable : « il n'avait pas l'air commode », « j'étais tassé contre un militaire ». Ils sont anonymes, indéfinis, et se réduisent à leur fonction. Surtout, ils exercent une pression qui amène Meursault à ressentir un sentiment de culpabilité ou de fuite « ce n'est pas de ma faute » / « pour ne plus avoir à parler ».

 

conclusion : on a une écriture de la conscience, du cas de conscience, voire de la mauvaise conscience...

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