Créer un site internet

incendie du bus

lecture analytique n°3

La scène 19 constitue le centre de la pièce, qui compte 38 scènes. Scène de traumatisme, elle renvoie à la phobie de Nawal et à des souvenirs intimes de l’auteur. Le personnage de Lebel sert d’intermédiaire entre le récit au présent et la scène passée (on retrouve ce rôle de passeur). Le bus = ce qui va amener Jeanne à partir. C’est un moyen de transport qui va nous transporter vers l’histoire de Nawal et qui va transporter Jeanne vers ses origines.

 

I. Deux récits du même événement

1. le récit objectif de Lebel

> discours plus court, insistant sur l’action, le dynamisme de la scène (le bus est en mouvement, des hommes arrivent en courant), les actions s’enchaînent à travers une énumération

> discours dépourvu d’émotions : le narrateur est extradiégétique, à la 3ème personne, avec l’ellipse de la fin couverte par les marteaux-piqueurs, on s’adresse à l’imagination du spectateur, à sa capacité de représenter la scène

 

2. le récit subjectif de Nawal

> elle accorde une grande importance au dénouement. Pas d’énumération d’actions, mais énumération des victimes, et effet de zoom sur la femme qui essayait de sortir par la fenêtre

> la narration est intradiégétique, et Nawal se place à l’intérieur du bus, incluse dans le pronom nous. La phrase « ils m’ont laissé descendre » place le pronom en position d’objet, elle subit la scène.

 

3. parler pour exorciser le traumatisme

> la phrase est bouleversée, avec des exclamations, des répétitions, et un rythme haletant qui témoigne de l’urgence de parler.

> cette urgence rejoue celle de la survie, lorsque le personnage hurle « je ne suis pas du camp » : parole pour sauver sa vie…

 

II. Une vision d’horreur

 

1. rendre l’horreur passée… présente

> il s’agit de placer sous les yeux du spectateur une scène, avec une description vivante. On a donc des détails précis et saisissants, des énumérations d’éléments concrets et réalistes, afin de re-présenter l’horreur. La violence des marteaux-piqueurs rappelle les mitraillettes et permet l’identification.

> cette re-présentation joue sur un effet de distorsion du temps : p 66, Sawda signalait l’endroit où attendre le bus desservant le camp de réfugiés. Ici, tout nous laisse penser qu’elle vient juste d’assister au massacre. Cet effet est appuyé par l’utilisation du passé composé.

 

2. une représentation qui sollicite tous les sens

> les marteaux-piqueurs, l’odeur de l’essence, la couleur du bus qui flambe, ou la vision de la peau qui fond (toucher) renvoient à un univers sensoriel saturé.

> un incendie qui embrase l’orateur : le vocabulaire du feu est omniprésent, avec des gradations qui font écho à la violence de l’embrasement du bus.

 

3. une vision infernale

> la focalisation sur la femme qui tente de sortir par la fenêtre reprend des procédés de cadrage cinématographique : du plan rapproché (une femme «  à cheval sur le rebord de la fenêtre ») au gros plan (la peau a fondu), l’effet de zoom est saisissant.

> On a en plus des effets de mise en abyme : le bus / la fenêtre : on a une démultiplication des images du piège. Nawal, une femme qui cherche à sauver son enfant, décrit une femme qui cherche à sauver son enfant… on a un parallélisme où le personnage voit ce qui aurait pu lui arriver, une image de son destin.

 

III. Fonctions de l’épisode

 

1. une dénonciation de la guerre civile.

> aucune indication géographique, historique, religieuse ou politique. Les indéfinis dominent « des soldats, des mitraillettes... » : on a une dimension généralisante.

> les victimes sont des vieux, femmes et enfants : la population vulnérable.

 

2. une scène tragique : il s’agit de susciter terreur et pitié

> le récit aboutit à une image allégorique du temps détraqué, perverti. L’avenir semble détruit (mort de l’enfant) ainsi que le passé (les vieux). La marche du temps est interrompue : il n’y aura pas de dépouilles mortuaires, pas d’identification possible des corps.

> On peut penser à Hamlet aussi (the time is out of joint, « le temps est disjoint, hors de ses gonds ») : Hamlet dénonce la perversion d’une époque où un prince tue son roi pour voler son épouse et le trône… ce qui a pour effet de faire revenir le fantôme hanter le monde des vivants.

 

3. le temps tragique

> L’allégorie dérisoire de la poule sans tête introduit une dimension mythique. Le récit se poursuit dans une vision quasi prophétique de déluge biblique, faisant penser aux plaies d’Egypte également… l’image de l’inondation de sang reprend la didascalie « les arrosoirs crachent du sang ». La parole prononcée est ainsi préparée par le jeu scénique. Et on a l’effet d’une boucle qui se referme.

> le temps qui se mêle entre les époques fait également penser que le fil du temps a été brisé. Comme le fantôme d’Hamlet, Nawal ne pourra reposer en paix tant que son histoire ne sera pas découverte par ses enfants. Il s’agit de faire passer du temps (décousu) à l’histoire

Ajouter un commentaire