les amants maudits

lecture analytique de la scène 5

I. Une scène lyrique : un amour fusionnel et passionné

 

> une expression hyperbolique des sentiments

- l’élan vers l’autre est sous le signe de l’excès : « je voulais le hurler pour que tout le village l’entende, pour que les arbres l’entendent, pour que la nuit l’entende, pour que la nuit et les étoiles l’entendent » : le mouvement de gradation manifeste l’ampleur du désir qui ne peut être contenu.

- on sera alors sous le signe de l’hyperbole et du superlatif : « ce que je veux le plus au monde » « je serai à jamais incomplète », « je ne pourrai plus rien te demander »

>> le lyrisme passe également par des procédés d’amplification, de crescendo (jeux d’anaphores, de répétitions) qui donnent à cette tirade une dimension oratoire proche du récitatif.

 

> vers le duo poétique et musical

- l’expression des sentiments, débordant le cadre du langage, passe alors par des images poétiques. « un gouffre » « la liberté aux oiseaux sauvages », « un océan a éclaté dans ma tête »… on remarque que ces images font référence à la nature, comme si cet amour était une expression du monde qui les entoure.

- la progression du texte va vers l’harmonie : les discours s’accordent. On est d’abord dans la dissymétrie où Nawal parle seule, impose le silence à Wahab. Progressivement, wahab prend la parole, et l’échange, proche de la stichomythie, témoigne d’un équilibre. Enfin, on est dans un jeu d’échos (« maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux »), et le pronom « nous » devient omniprésent, là où le « je » et le « tu » ne cessaient de s’opposer.

>> l’alchimie entre les personnages se dit ainsi dans une fusion avec les éléments qui les entourent : l’air (le vent), l’eau (un océan), le feu (une brûlure)

 

> le désir de fusion

- cet amour reprend le thème de l’amour fusion : les personnages, à travers l’enfant, réalisent le rêve d’un retour à l’androgyne : « ton visage, mon visage dans le même visage ». Il n’y a plus de frontières entre le même et l’autre, entre le toi et le moi (mon ventre est plein de toi). « il restera toi, moi, et un enfant de toi et moi » : le jeu des pronoms instaure une poétique de l’écho, d’un échange idéal. « pense à moi comme je pense à toi » : le chiasme des pronoms figure cet idéal fusionnel.

- ce désir de fusion est également montré physiquement sur la scène : la scène figure ce rapprochement. Les amants, d’abord, se retrouvent. La parole doit être dite « à l’oreille », c’est-à-dire au plus près de l’autre. L’énonciation du désir de « rester dans mes bras » annonce la didascalie « il l’embrasse »…

>> Même les discours fusionnent finalement, avec la reprise des dernières phrases.

 

II. Une scène d’aveu : obstacles et interdits

 

> une expression du dilemme

- l’aveu de Nawal est sous le signe de l’opposition: il faut « parler » et « se taire », « hurler » et « dire à l’oreille ». Le discours est bouleversé : entre phrases courtes qui signifient l’urgence de l’aveu, et longueur des tirades qui signifient l’impossibilité de se livrer, toute la scène est en tension. On oscille entre les silences indiqués à 2 reprises par les didascalies, et l’effusion.

- le dilemme s’exprime également à travers des antithèses : « tu ne sais pas le bonheur qui va être notre malheur » « c’est magnifique et horrible » « un océan / une brûlure » : l’antithèse exprime une menace de l’harmonie entre les amants. C’est la marque de l’interdit, qui est une inter-diction (une menace au cœur des mots)

 

> un amour impossible

- cet amour est condamné socialement. On voit une opposition entre le couple et le village : « on nous tuera », « tu crois qu’ils nous écouteront ? » : derrière cet anonymat pluriel « on », « ils », on comprend que le couple s’oppose au reste du monde.

- surtout, le reste du monde est d’une violence ultime « tuer », « tu n’as pas peur, toi ? », « ils injurieront », « ils me frapperont »…

>> la menace de la mort est de plus en plus présente et oppressante.

 

III. Une annonce tragique : la sortie du paradis

 

> la fin du temps de l’idylle

- la sortie de l’enfance : l’histoire d’amour appartient déjà au passé, au plus que parfait…

- un décor symbolique, qui figure une sorte de paradis perdu. « Je savais que j‘allais te trouver aux rochers aux arbres blancs » : c’est le lieu de l’idylle, le lieu où le personnages sont en harmonie avec un état de nature originel.

 

> le temps de la destruction

- un temps tragique : la filiation, la lignée : on n’échappe pas à cet enchaînement « elle m’a sorti du ventre de ma mère et elle a sorti ma mère du ventre de sa mère » : on sent le poids du passé qui résonne comme un piège.

- les incertitudes de l’avenir « Où serons-nous, toi et moi dans cinquante ans » (on est proche de l’ironie tragique! Coïncidence malheureuse qui donne l’impression que le destin se moque). Le futur sonne comme un destin implacable « je ne pourrai plus te demander de rester dans mes bras ».

>> Les personnages se projettent dans le temps de la séparation (cf didascalie finale, qui fait écho à ce mauvais présage ».)

 

> une parole tragique

- la parole d’Elhame, une parole qui « éclate » comme une bombe, comme une arme.

- « à partir du moment où je vais laisser échapper les mots qui vont sortir de ma bouche, tu vas mourir toi aussi ». Parler, c’est provoquer la mort, comme dans la tragédie classique. On comprend la tentation de Nawal de laisser le silence. La parole a quelque chose de magique, au théâtre, parler, c’est agir… et potentiellement tuer…

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