séance 9 : LA lettre 161

La dernière lettre de Tourvel

I. L’expression du désespoir

1. cette lettre n’a pas de destinataire. Elle a été dictée par Mme de Tourvel en proie au délire. La première apostrophe semble viser Valmont : « Être cruel et malfaisant. » Les destinataires de la lettre sont : - son persécuteur, - ses amis, - son mari « outragé », - son persécuteur à nouveau - un autre Valmont, le Valmont-amant-amoureux, « aimable ami » qui redevient insensiblement dans le même paragraphe l’obscur persécuteur, - ses amies, - son persécuteur.

2. Elle est écrite par la femme de chambre de Mme de Tourvel, sous la dictée. Mme de Tourvel n’est plus capable de tenir une plume. Dans la lettre 160, Mme de Volanges décrit ainsi l’état de Mme de Tourvel dans une lettre destinée à Mme de Rosemonde : « Il paraît cependant que la tête est un peu revenue la nuit dernière. » Le présupposé d’une telle phrase est donc que Mme de Tourvel avait perdu la tête, qu’elle est en train de sombrer dans la folie. C’est cette folie que la lettre retranscrit.

3. la composition désordonnée de cette lettre

L’ordre des propos n’apparaît pas clairement. Dans un premier paragraphe, elle s’adresse à un « être cruel et malfaisant » qui l’a avilie et plongée dans les ténèbres; puis elle cherche par une interrogation pathétique ses amis : « Où sont les amis qui me chérissaient, où sont-ils ? » Le « toi » qui suit semble adressé à son mari. Elle revient ensuite à son persécuteur dont elle brosse un portrait contrasté, paradoxal, elle implore ensuite ses amies (au féminin) de ne pas l’abandonner ; elle revient à un face-à-face avec son persécuteur à qui elle dit pour finir adieu : « Adieu, Monsieur. » C’est donc une lettre erratique, décousue en même temps qu’extrêmement pathétique.

4. Cette lettre 161 est tout autant pathétique que tragique : pathétique par l’excès de souffrance qu’elle explore, et tragique par l’obsession de la mort : « pourquoi prépares-tu cet appareil de mort ? », demande-t-elle à son persécuteur. La destinée s’est abattue sur la pécheresse : « Le ciel a pris ta cause ; il te venge d’une injure que tu as ignorée. » Ces propos s’adressent bien évidemment à son mari

 

II. Du désespoir à la folie

1. Les discours varient parce que Laclos cherche à traduire le désordre, le délire, avec des hantises angoissantes, des obsessions terrifiantes auxquelles succèdent des appels à l’aide.

2. On peut reconnaître Valmont aussi bien dans le sombre persécuteur atrocement cruel : « Être cruel et malfaisant » que dans l’ « aimable ami ». Le contraste entre les deux visages de Valmont est d’ailleurs saisissant. Le premier portrait est angoissant : « Mais qu’il est différent de lui-même ! Ses yeux n’expriment plus que la haine et le mépris. Sa bouche ne profère que l’insulte et le reproche. Ses bras ne m’entourent que pour me déchirer ! » Le contraste entre les deux visages de Valmont est introduit par la phrase exclamative plaçant sous l’égide du haut degré l’absence de cohérence du personnage de Valmont. Un deuxième portrait, juste après, montre un tout autre Valmont : « Oh ! mon aimable ami ! reçois-moi dans tes bras, cache-moi dans ton sein : oui, c’est toi, c’est bien toi ! » La puissance de la vision que marque le renchérissement « c’est bien toi » marque l’hallucination.

3. On peut en effet constater que les exclamations sont nombreuses dans le texte et entrecroisées avec des interrogations qui marquent le désarroi. Ces exclamations laissent déferler des émotions paroxystiques.

Les interrogations sont de sortes :

- oratoires, elles sont très proches de l’exclamation et expriment elles aussi des émotions puissantes : « Qui ! dans ce séjour de ténèbres où l’ignominie m’a forcée de m’ensevelir, les peines sont-elles sans relâche, l’espérance est-elle méconnue ? » ;

- vraies interrogations, elles marquent la perte absolue de repère, le désarroi et la déréliction : « Où sont les amis qui me chérissaient ? Où sont-ils ? »

- Une interrogation annonce clairement la mort : « Pourquoi prépares-tu cet appareil de mort ? » On peut s’interroger sur le sens du mot « appareil » : préparatifs de funérailles ou instrument destiné à donner la mort.

4. Beaucoup d’images hallucinatoires semblent inspirées par le délire de Mme de Tourvel : mais les plus frappantes sont les deux portraits de Valmont mis en contraste. Le thème de l’obsession est aussi particulièrement lié à celui de la folie : « Je veux le fuir en vain, il me suit ; il est là ; il m’obsède sans cesse. »

 

Plan possible pour le commentaire :

 

I. Une lettre qui dysfonctionne

> plusieurs destinataires

> composition désordonnée

> tombée des masques = l'écriture de l'authenticité

 

II. Du désespoir à la folie

> du pathétique au tragique

> visions et hallucinations

> un spectacle tragique de la passion (dimension théâtrale)

 

III. Une écriture du déchirement

> un personnage écartelé moralement, le règne de l'antithèse

> double portrait de Valmont

> écriture double : parallélismes et écriture binaire : le point culminant de l'écriture duelle.

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