lecture analytique 2

exemple d'explication trouvée sur internet

Montaigne annonce par le titre de l’essai que le sujet qui va l’occuper est la vanité. Or, selon le principe d’écriture libre et vagabonde qui le caractérise, il n’aborde pas de front cette question, mais la traite plutôt au détour de réflexions concernant d’autres thématiques qui sont pour lui en partie associées. Le voyage, réel ou métaphore de son rapport à l’écriture, est ainsi abordé à plusieurs reprises. Dans cette page, Montaigne précise la manière dont il le conçoit et distingue fermement une bonne et une mauvaise façon de voyager. Il s’agira de montrer comment l’argumentation part de l’expérience de l’auteur pour aboutir à une réflexion sur la façon de se comporter en voyage.
 

I. Une écriture centrée sur soi, tournée vers autrui... 

1.les marques de la 1ère pers. structurent notre texte

> Les marques de 1ère personne du singulier ouvrent les deux paragraphes du texte en position forte de sujet (« j’ai la complexion », « j’ai honte »).
> Ces marques de première personne sont très présentes dans le premier paragraphe, puis elles tendent à s’effacer dans le second.

>> En effet, le premier paragraphe présente la « complexion » de Montaigne de façon explicite, tandis que le second paragraphe confirme l’analyse de façon indirecte par une comparaison avec « nos hommes », ces voyageurs français à la complexion opposée à celle de l’auteur et qui constituent le contrepoint négatif de son caractère. En parlant d’eux, Montaigne ne fait en réalité que renforcer l’image qu’il donne de lui-même : si ces hommes « voyagent couverts et resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d’un air inconnu », par exemple, on a le sentiment que Montaigne fait tout à fait le contraire, c’est-à-dire se montrer ouvert, sociable et confiant.

2. Définition de sa propre « complexion »

La « complexion », au XVIe siècle, désigne ce qui caractérise une personne aussi bien sur le plan physique que sur le plan moral.

> Dans la première partie du texte, Montaigne ne perd pas de vue cette interaction du corps et de l’esprit et souligne à quel point les dispositions de son « corps » sont en accord avec celles de son caractère : dans la première phrase, l’adjectif « libre » et le groupe nominal « goût commun » concernent aussi bien le corps que la personnalité.

> On trouve encore une corrélation entre le corps et le caractère dans la mention de la tendance de Montaigne à goûter à tout ce que l’on peut lui proposer : « cette généreuse faculté » a des incidences sur sa santé, puisqu’il aurait peut-être eu « besoin que la délicatesse et le choix arrêtât l’indiscrétion de [son] appétit et parfois soulageât [son ] estomac ».

>> Ainsi, le lecteur comprend que l’ « appétit » de Montaigne est à la fois une caractéristique physiologique (il ne fait pas le difficile à table, ne se montre pas délicat et tatillon dans ses « choix » de nourriture) mais témoigne aussi d’une disposition psychologique : c’est une « généreuse faculté » que d’avoir envie de goûter à tout – et donc d’être curieux de tout.

3. Des exemples tirés de sa propre expérience de voyageur pour dessiner son autoportrait

> Montaigne ne se place pas dans la position de quelqu’un qui raconte un épisode de sa propre histoire, mais plutôt dans celle de quelqu’un qui trace son portrait, physique et psychologique, en s’appuyant sur des exemples témoignant avant tout d’attitudes récurrentes qui caractérisent sa complexion (cf. « Quand j’ai été ailleurs qu’en France » [= suppose que c’est arrivé plusieurs fois, sans que le nombre, les lieux, les périodes mêmes soient précisées], je « me suis toujours jeté aux tables » [= mise en évidence d’une constante de son comportement].

> C’est ce qui apparente le passage au genre de l’autoportrait (se décrire soi-même, au physique comme au moral) plutôt qu’à une écriture proprement autobiographique qui mettrait l’accent sur des événements de la vie de Montaigne et en ferait le récit.

>> Une écriture certes tournée vers soi, mais qui met aussi en évidence l’intérêt du voyage, de façon plus générale. S’il a un goût prononcé pour le voyage, c’est parce que sa propre complexion, libre, ouverte, goûtant la variété, rencontre les caractéristiques principales du voyage lui-même.

II. Défense et illustration de la variété propre au voyage

1. la variété du voyage, et l'écriture de la variété

> Dans la 2e phrase « diversité d’une nation à l’autre » ou encore « plaisir de la variété ». Au-delà de ce vocabulaire soulignant les différentes manières de vivre et la particularité des nations, les structures grammaticales insistent sur le fait que l’on trouve, en voyage, des éléments différents.

> Cela peut aussi passer par l’emploi du déterminant « chaque » (« chaque usage ») qui indique la variété présente dans le tout de l’« usage », ou encore par l’utilisation du pluriel (« des assiettes », aux tables les plus épaisses », « des formes contraires aux leurs »…).

>> Ainsi, pour exprimer la variété, qui est au centre de son propos, Montaigne emploie aussi des procédés d’écriture variés : le style reflète – et renforce – le caractère capital de la diversité.

2. Des énumérations non limitatives pour exprimer la variété

Cette variété est d’ailleurs mise en scène à travers le procédé de l’énumération, en particulier dans la phrase « Soient des assiettes d’étain, de bois, de terre, bouilli ou rôti, beurre ou huile de noix ou d’olive, chaud ou froid, tout m’est un ».

> L’unité de la phrase est constituée par le thème culinaire. Mais au sein de celui-ci se décline, à plusieurs niveaux, l’idée de variété. D’abord, ce sont 4 aspects différents de la nourriture et de sa dégustation qui sont envisagés : le type d’assiette dans lequel le plat est présenté (« assiettes d’étain, de bois, de terre »), le mode de cuisson choisi (« bouilli ou rôti »), les matières grasses employées pour cuisiner (« beurre ou huile de noix ou d’olive ») et enfin le mode de dégustation (« chaud ou froid »). Chacun de ces aspects présente au moins une alternative, mais l’expression souligne une fois de plus l’ampleur de la diversité : tantôt ce sont deux options qui sont proposées (« bouilli ou rôti », « chaud ou froid »), tantôt trois (matériau de l’assiette et matière grasse), en alternance rigoureuse (3/2/3/2).

> Un élément supplémentaire de variété stylistique est introduit dans cette unité par le jeu entre binaire et ternaire mis en place par l’énumération des matières grasses : on peut certes en dénombrer trois (beurre, huile d’olive, huile de noix) mais, de façon subtile, Montaigne les présente en opérant une double distinction, entre « beurre » et « huile » d’abord, puis, au sein de l’unité de l’huile, entre « de noix » et « d’olive ».

> De plus, l’exemple gastronomique renvoie implicitement à des voyages de natures différentes : ce sont les milieux sociaux qui peuvent varier – en témoigne alors le type de vaisselle, présenté du matériau le plus noble (« étain ») au plus modeste (« terre »). Mais ce sont aussi, bien sûr, les sphères géographiques : de fait, le beurre et l’huile de noix seront plus volontiers employés au nord-ouest de la France, tandis que l’huile d’olive est caractéristique de la cuisine des pays du Sud.
Le voyage, par principe, est ainsi source de nouveauté.

3. Un éloge de l’ouverture et de la diversité

> Cette présentation de la variété s’opère de façon méliorative. Montaigne apprécie de sortir des sentiers battus, et il se montre explicite sur ce point, évoquant par exemple le « plaisir » que lui cause la découverte de ces différences.

> De façon plus indirecte en rappelant son refus constant d’être « servi à la française » à l’étranger (cf. « je m’en suis moqué ») et en soulignant que son appétit n’est arrêté par aucune nouveauté, même peu séduisante a priori (cf. l’emploi du verbe « se jeter » et de l’adjectif « épais » pris dans une acception péjorative renforcée par l’usage du superlatif : « [je] me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses d’étrangers »), il renforce l’idée que cette diversité constitue pour lui un attrait – même si son goût, ou son « estomac » n’y trouvent pas toujours leur compte.

> Enfin, dans le portrait en creux du deuxième paragraphe, l’ironie avec laquelle il rapporte le point de vue des mauvais voyageurs (qui considèrent pour leur part les mœurs comme « barbares » dès lors qu’elles ne sont pas « françaises ») permet de comprendre que pour Montaigne « chaque usage a sa raison » et que, pour être différentes, éventuellement même peu plaisantes à notre goût, les coutumes d’un étranger n’en sont pas pour autant inférieures aux nôtres.

>> Ainsi Montaigne expose le constat que le voyage est lié à la variété, et il fait l’éloge de cette variété.

 

III. Critique des mauvais voyageurs

1. Des effets d’opposition mettant en évidence la différence entre un bon et un mauvais modèle

> L’extrait met en place des oppositions qui font apparaître deux façons de se comporter face à la diversité. Lorsque ces éléments contraires sont proposés à Montaigne lui-même, l’opposition est dépassée et acceptée : ainsi, qu’un plat servi soient « chaud ou froid », « tout [lui] est un » et si le service « à la française » lui est proposé, il lui préfère les « tables […] d’étrangers ».
> En revanche, « nos hommes », loin d’accepter la différence, tendent à dresser des barrières infranchissables entre eux et les étrangers, qu’ils considèrent comme des « barbares », terme péjoratif qu’ils opposent au nom de leur propre nation. S’ils « prennent l’« aller » ce n’est que pour mieux « venir » (c’est-à-dire rentrer chez eux et achever le voyage). Enfin, s’ils se montrent ouverts à un « compatriote », cela ne met que davantage en valeur leur fermeture à ceux qui ne sont pas de la même nationalité qu’eux : avec le premier, ils s’empressent de se « rallier et recoudre ensemble » tandis qu’ils « condamn[ent les] mœurs » des seconds. Face à ces derniers, ils se montrent « couverts et resserrés », ce qui tranche avec le fait qu’ils « festoient » lorsqu’ils retrouvent un Français. C’est qu’ils craignent le contact avec ceux qui sont différents d’eux et qu’ils envisagent comme une maladie, puisqu’ils « se défend[ent] de la contagion d’un air inconnu ». >> Ainsi voit-on apparaître deux façons d’aborder la variété : l’une – ouverte et bienveillante – est celle de Montaigne et du bon voyageur. L’autre – fermée, craintive, hostile – caractérise les mauvais voyageurs comme en témoigne l’analyse péjorative qu’en donne l’extrait : c’est, en effet, l’expression d’une « sotte humeur » que « de s’effaroucher des formes contraires aux leurs ». Or cette « sotte humeur » s’oppose à la « généreuse faculté » dont fait au contraire preuve Montaigne.

2. Utilisation de la moquerie et de l’ironie pour décrédibiliser les mauvais voyageurs

> Montaigne ne se contente pas de condamner l’attitude des mauvais voyageurs en employant des termes péjoratifs pour caractériser leur comportement : il utilise également l’ironie, de sorte que le lecteur se range plus aisément encore dans le camp de Montaigne.
> Une moquerie discrète se fait entendre dans certaines expressions métaphoriques : ainsi le verbe « recoudre » nous donne le sentiment que les mauvais voyageurs sont si empressés de se rapprocher de leurs compatriotes qu’ils se cousent littéralement à eux. L’emploi de la métaphore de la « contagion » produit également un effet moqueur dans la mesure où il paraît exagéré. L’« air inconnu » des pays étrangers ne saurait « effaroucher » un voyageur au point qu’il le pense chargé de miasmes que si ce voyageur est particulièrement sot et ridicule.
> Mais c’est surtout par le biais de la question rhétorique du second paragraphe que Montaigne exprime son ironie mordante. Cette question vient commenter l’emploi, dans la phrase précédente de l’adjectif péjoratif « barbare ». La question rhétorique, qui pose une équivalent allant de soi entre « barbares » et non françaises relève d’une forme de discours indirect libre : ici, ce n’est pas le point de vue de Montaigne qui s’exprime, mais celui qu’il attribue aux hommes qu’il critique. Or il est tellement idiot de considérer que l’intégralité de ce qui n’est pas français est automatiquement barbare que le point de vue des mauvais voyageurs s’en trouve aussitôt décrédibilisé. On peut aussi considérer que Montaigne, lorsqu’il formule la restriction « Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues pour en médire » fait preuve d’ironie à l’égard des mauvais voyageurs, dans la mesure où il laisse entendre qu’il en est de si peu « habiles » qu’ils n’ont même pas l’intelligence de s’intéresser aux « mœurs » étrangères et d’en percevoir les différences avec les leurs.

3. Une stratégie argumentative à double détente

> Montaigne s’emploie certes à critiquer un mauvais comportement, mais aussi à appeler à un changement d’attitude, moins vaniteux. La mention de la « honte » qu’il éprouve face aux comportements intolérants et fermés ouvre l’espace de la critique.

> Mais l’ensemble du texte offre une perspective plus constructive : sans pour autant se montrer orgueilleux, Montaigne défend ici l’idée que sa propre ouverture d’esprit est plus adaptée à l’attitude attendue d’un voyageur, et il engage son lecteur à réfléchir à la question d’une hiérarchisation des mœurs : l’extrait suggère en effet qu’il est sot de penser que les usages des Français sont par principe supérieurs à ceux de toute autre nation (il convient de faire preuve de plus de modestie) – ce qui ne veut pas forcément dire non plus que tous les usages se valent, voire sont supérieurs à ceux auxquels nous sommes accoutumés (voir l’exemple des « tables […] épaisses »). Ce qui est idiot, ce n’est pas d’exercer sa faculté de jugement, mais c’est d’avoir des préjugés qui nous empêchent de penser et de jauger avec justesse les différences. Ces préjugés, en effet, nous entraînent sur la voie de la mauvaise vanité – au sens ici de prétention – qui consiste à considérer que tous ceux qui ne sont pas comme nous sont malsains, inquiétants, repoussants, qu’il convient d’« abominer » leurs mœurs et de s’en préserver. Ainsi, sans avoir l’air d’aborder directement la question de la vanité, Montaigne la retrouve pourtant incidemment.

 

Plan de lecture analytique en classe :

 

I. Les références culinaires : autoportrait en bon vivant

1. le plaisir du voyage, qui ouvre l'appétit et permet de goûter des plaisirs divers

2. un éloge de la diversité / une écriture de la diversité

3. le modèle de l'innutrition

 

II. La critique des mauvais voyageurs

1. le jeu des oppositions et antithèses

2. la satire ironique

3. une critique de l'éthnocentrisme et du repli sur soi

 

III. Un autoportrait humaniste

1. mise en scène élogieuse de soi

2. un modèle d'ouverture d'esprit

3. un modèle pour le lecteur complice

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