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séance 6 : L'Etranger

séance 6 : lecture analytique de la scène de meurtre de l'Etranger

1. Présentation  du contexte historique et culturel :

Camus écrit l’Étranger en 1942, pendant la Seconde guerre mondiale, et intègre ce récit au « cycle de l'Absurde », qui comprend un essai, Le Mythe de Sisyphe, et 2 pièces de théâtre, Le Malentendu et Caligula. Sa réflexion sur la condition humaine l'amène à penser que la vie est dépourvue de sens, et que l'homme est guidé par une fatalité, un destin à analyser afin de pouvoir le dépasser et d'aller vers une révolte positive.

2. Présentation du texte :

La scène du meurtre, au chapitre 6 de l’Étranger présente ainsi un personnage qui semble subir son crime plus qu'il ne le commet. Sans avoir vraiment conscience de son geste, manipulé par les éléments, torturé par la brûlure du soleil, Meursault tire sur un Arabe et bascule dans un univers tragique, infernal.

3. Problématique :

Nous étudierons comment le texte progresse vers une dimension infernale, en faisant du personnage un héros tragique manipulé par un destin funeste.

4. Plan possible :

L'analyse de la progression tragique de la scène permettra de mettre en évidence l'irresponsabilité du meurtrier manipulé par les éléments dans cette descente aux enfers.

 

I. Une scène de meurtre : le récit bascule dans le drame

1. une marche vers le précipice

> l'action est marquée par une accélération : les pas du personnage rythment la scène « je n'avais qu'un demi-tour à faire / j'ai fait un pas, un seul pas / c'est alors que tout à vacillé ». Les pas rythment la scène avec une cadence dramatique.

> A mesure que le personnage avance vers sa victime, on suit un mouvement d'amplification : la chaleur est de plus en plus forte, le couteau devient glaive, puis épée, et le décor prend une dimension apocalyptique

>> l'intensité dramatique est à son comble

 

2. une tension physique croissante

> le drame suit les évolutions de la douleur physique de Meursault. La brûlure des joues, la sueur, le front, les veines, l'oeil et les larmes sont évoqués. L'équilibre du corps est menacé, comme l'équilibre du monde après le meurtre.

> le corps est ainsi torturé jusqu'à ce qu'il expulse sa douleur à travers le coup de feu « tout mon être s'est tendu, et j'ai crispé ma main sur le revolver » : la tension et la crispation sont les signes d'un mal intérieur qui ne peut être maitrisé.

>> le meurtrier est présenté comme une victime (retournement de situation théâtral!)

 

3. la participation de la nature

> l'action semble réalisée par les éléments, qui sont souvent sujets de verbes d'actions « toute une plage me pressait / la brûlure du soleil gagnait / la mer a charrié... » : la nature n'est pas seulement témoin ou complice du meurtre, elle l'organise, elle le trame.

> le soleil et la mer sont personnifiés et se mélangent même dans des métaphores telles que « la lumière a giclé » : les éléments se combinent pour piéger et agresser le personnage.

>> On peut souligner la fatalité inscrite jusque dans le nom de Meursault, dont les sonorités font déjà entendre la mer, le soleil, le meurtre… on est dans une tragédie, comme le signalent les coups (de brigadier) de la dernière phrase ?

 

II. Un meurtrier non responsable, innocent, une « victime »

 

1. Une volonté impuissante

> Le passage est riche en connecteurs logiques qui témoignent de l'impuissance de Meursault. Le « mais » (mais toute la plage vibrait / mais j'ai fait un pas…) rend compte d'une impossible résistance du personnage qui se laisse manipuler contre son gré.

>Les connecteurs « à cause / malgré » multiplient les expressions de causes qui échappent, comme la gâchette semble échapper au personnage « la gâchette a cédé »

>> le personnage est passif, impuissant contre la marche des éléments

 

2. Un corps qui ne répond plus

> évoquant son corps, le personnage passe du déterminant possessif aux articles définis « le front, la sueur, les paupières... » : son corps est ainsi mis à distance, il échappe à son contrôle. De même, il va perdre la vue.

> les sens deviennent trompeurs : les ombres déforment le visage de l'arabe, le personnage est assourdi par les « cymbales du soleil », le soleil et la mer confondent les sens dans des synesthésies cauchemardesques…

>> Meursault est victime d'illusions, de manipulations

 

3. Une scène rêvée plus que vécue

> la scène se présente comme un ouverture vers l'imaginaire, le fantasme. Aveuglé, le personnage imagine la scène plus qu'il ne la voit « il m'a semblé » / « sans qu'il y parût » : les modalisateurs sont de plus en plus incertains… la scène de moins en moins réelle (on bascule même dans un registre apocalyptique)

> Les métaphores et comparaisons invitent également à lire cette scène comme une projection onirique : " comme une longue lame étincelante / un rideau de larmes..."

>> comme dans le rêve, plusieurs temps se superposent « c'était le même soleil que le jour où... » : le passé et le présent se confondent pour confondre le pauvre personnage

 

III. La descente aux enfers du héros tragique

 

1. Le Soleil et la Mer

> Ces deux éléments semblent compris dans le nom du personnage, Mersault, ce qui figure comme un présage, une prédestination. Est-ce pour figurer l'écartélement du personnage entre une figure maternelle du côté du liquide, et une figure paternelle, du surmoi, qui lui est opposé ?

> Figures mythiques auxquelles le héros ne peut échapper, ce sont des avatars du destin. Le temps n'avance plus, se referme sur lui-même : on est dans le temps tragique de l'éternel retour. (Cf Sisyphe)

>> Personnage comme réécriture du héros tragique

 

2. Un monde bouleversé

> retour du chaos : le coup de feu occasionne un bouleversement cosmique. La mer et le feu s'associent « la mer a charrié un souffle épais et ardent », le ciel fait « pleuvoir de feu » : cette vision apocalyptique met en scène une fusion des éléments contraire à la nature.

> Ce mariage contre nature des éléments engendre non pas la vie, mais la mort : le meurtre est un accouchement inversé : « c'est là que tout a commencé » : genèse à l'envers.

>> Le meurtre est vécu comme un baptême qui ouvre sur une vie de malheur

 

3. L'entrée aux enfers

> Si le feu brûlant est annonciateur des enfers, alors les « quatre coups brefs » frappés à la porte du malheur marquent bien une entrée aux enfers telle qu'on peut en lire chez Dante dans la Divine Comédie.

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