correction év. finale

le théâtre dans le théâtre

Le corpus présente quatre extraits de pièces écrites à des époques différentes, du 17ème au 20ème siècle. Pourtant, ces passages sont tous construits sur une mise en abyme, puisque une pièce est jouée sur scène, les comédiens endossant un nouveau rôle. Après avoir décrit le fonctionnement du théâtre dans le théâtre, nous étudierons les effets de cette technique sur le spectateur.

 

Dans tous ces extraits, une pièce de théâtre est intégrée à la représentation d’une autre pièce. Dans l’extrait de L’Illusion comique comme dans les Acteurs de bonne foi ou la pièce de Pirandello, nous sommes ainsi invités à entrer dans les coulisses du spectacle. Les spectateurs découvrent en même temps que Pridamant, que la mort de Clindor n’était qu’une illusion. Il jouait un rôle tragique. La didascalie indique que l’espace scénique est divisé en deux : derrière un rideau qui peut être tiré se trouvent les comédiens, tandis que devant ce rideau se situent Alcandre et Pridamant, qui sont donc en position de spectateurs. Chez Marivaux et Pirandello, l’action ne se situe pas après le spectacle, mais avant, pendant une répétition. On assiste ainsi à la fabrique d’une pièce, avec les métiers de souffleur, de directeur, de premier acteur… On retrouve chez Marivaux la présence de personnages qui relaient le spectateur, comme chez Corneille, car une didascalie indique que deux personnages sont assis. Dans la cérémonie des Bonnes, l’illusion théâtrale n’est pas indiquée, ce n’est que lorsque le réveille sonne que le public comprend, à rebours, comme Pridamant, qu’il a été manipulé en confondant le réel et le jeu.

 

L’effet produit par ces mises en abyme n’est pas le même dans chaque pièce. Il peut en effet souligner une tonalité didactique, comique, ou une tonalité plus inquiétante. Dans L’Illusion comique, la dimension comique se double d’une réflexion baroque. En effet, le soulagement et la joie de Pridamant succèdent à l’angoisse et au désir de mort du début de la scène, une fois que le procédé du théâtre dans le théâtre est révélé. Cette scène est ainsi construite sur un renversement de situation, on passe du tragique au comique, afin d’interroger le spectateur sur la réalité du monde qui l’entoure. En effet, le spectateur est amené à se demander si, à l’instar des personnages sur scène, il n’est pas le comédien d’un spectacle dont il ignore faire partie.

Les personnages des Acteurs de bonne foi sont typiques de la comédie : les valets Blaise et Lisette endossent le rôle du jaloux, quand Lisette prend celui de l’ingénue. La confusion entre sentiments réels et sentiments joués qu’exprime Lisette lorsqu’elle s’écrie « Mais sis bien obligée d’en sentir, pisque je sis obligée d’en prendre dans la comédie » est source de comique. C’est une autre forme de comédie qui transparaît dans Six personnages en quête d’auteur, puisque l’auteur se moque des comédiens et plus généralement du milieu du théâtre. Il fait preuve d’humour en présentant un certain Pirandello comme un auteur abscons, mais on peut aussi rattacher ce texte à la tradition de la comédie de mœurs qui se moque des défauts de ses contemporains, ici, l’orgueil des acteurs.

Le ton est tout à fait différent dans les bonnes. Le malaise vient de l’incertitude du spectateur qui ne comprend qu’à la fin de l’extrait que la scène de violence et de meurtre n’est qu’un jeu. Alors que chez Corneille, la révélation est un soulagement, elle contribue ici au malaise car les bonnes semblent prendre plaisir à jouer un meurtre pour elles-mêmes, et elles mettent indirectement en scène un fratricide.

 

Le théâtre dans le théâtre est ainsi une structure qui permet de jouer avec le public, qui est soit manipulé soit complice du jeu proposé par l’auteur, pour son plus grand plaisir ou sa plus grande inquiétude.

Commentaire

 

L’Illusion comique est une pièce baroque mettant en scène un père, Pridamant, à la recherche de son fils, Clindor. Pridamant consulte un magicien, Alcandre, qui fait défiler devant les yeux du père désespéré la vie de Clindor. Cette scène de dénouement révèle en un coup de théâtre spectaculaire que la mort de Clindor à laquelle Pridamant vient d’assister n’était qu’une représentation. Pridamant, victime d’une illusion théâtrale favorisée par le théâtre dans le théâtre, passe alors avec le spectateur de sentiments tragiques à un sentiment de joie. Nous verrons ainsi dans quelle mesure cette scène de dénouement heureux est représentative de l’esthétique baroque. Après avoir étudié la dimension heureuse du dénouement, nous analyserons les renversements de situations qui structurent la scène, afin d’approfondir l’esthétique baroque mise en œuvre dans notre extrait.

 

I. Un dénouement heureux

1. Les retrouvailles du père et du fils

C’est ici le dénouement, dans la mesure où la quête du père aboutit. Le théâtre est ainsi un lieu de réconciliation, entre le père et le fils comme entre « le traître et le trahi, le mort et le vivant ». C’est un lieu où ce qui s’oppose, sous le signe de l’antithèse, peut coexister.

La scène de retrouvailles est étrange dans la mesure où les personnages évoluent dans des univers parallèles. Le rideau mentionné sépare deux espaces imperméables l’un à l’autre, comme le quatrième mur d’une scène de théâtre.

2. Alcandre et Pridamant : vers une harmonie

Dans un premier temps, Alcandre n’interrompt pas la plainte de Pridamant, et ne dévoile pas l’illusion. Loin d’apaiser sa souffrance, il l’encourage à laisser celle-ci le conduire aux « funérailles » de son fils. Le mot est à comprendre comme une antiphrase, et le ton est ironique ; le père va assister à la renaissance de son fils.

Alors que Pridamant s’exprime davantage dans la première partie du passage, c’est Alcandre, qui de manière symétrique, va davantage monopoliser la parole. On passe ainsi de l’émotion à l’explication, de la passion à la raison.

3. Les explications d’Alcandre

La tirade d’Alcandre est explicative et vise à donner le fin mot de l’histoire. L’adverbe « ainsi » annonce cette révélation. Alcandre explique d’une part le fonctionnement de l’illusion théâtrale qui est un jeu « le traître et le trahi… se trouvent amis comme devant ». L’opposition entre le traitre et les amis souligne l’irréalité de ce jeu. D’autre part, Alcandre explique les raisons qui ont poussé Clindor à devenir comédien ; il a fui « un père » et un « prévot ». Alcandre rend donc Pridamant responsable du sort de son fils.

 

II. Une scène construite sur des renversements

1. Le coup de théâtre : le théâtre dans le théâtre

La didascalie « on tire les rideaux et on voit tous les comédiens qui partagent leur argent » révèle le mécanisme du théâtre dans le théâtre de manière spectaculaire. C’est un véritable coup de théâtre, marqué par la surprise de Pridamant qui ne comprend pas d’emblée ce qu’il voit. Les exclamations et interrogations montrent qu’il est désemparé.

2. Changement d’attitude de Pridamant

La scène commence par une plainte avec le champ lexical de la douleur, les interjections « hélas » et autres phrases exclamatives témoignant d’un personnage mélancolique, cherchant la mort.

Lorsque le rideau se lève, c’est la surprise ou la joie qui domine. La dernière réplique, en revanche, manifeste un certain mépris « Mon fils comédien » : la diérèse sur les dernières syllabes fait entendre un certain dégoût.

3. le retournement de situation comique

Au ton tragique de Pridamant, auquel le spectateur est invité à s’identifier, succède ainsi le ton de la joie, surtout le ton distancié d’Alcandre. (pas d’unité de ton)

À l’infortune soulignée par Pridamant comme dans un théâtre pour les nobles, succède la fortune des comédiens se partageant leur argent, ce qui est plutôt une vision populaire de cet art. On retrouve ici la dimension comique annoncée par le titre de l’oeuvre, avec un comique de situation vertigineux, reposant sur la mise en abyme.

 

III. L’éloge du théâtre dans une esthétique baroque

1. Le questionnement sur la réalité et l’illusion de ce qui nous entoure

Alcandre est magicien. Le mot « charme » employé par Pridamant rappelle ses pouvoirs surnaturels. Cette magie suggère que les lois qui régissent l’univers ne sont pas stables. La mention de la « roue de fortune » va dans ce sens. Le monde à l’envers est sans cesse susceptible de faire vaciller les destins « tout s’élève ou s’abaisse » : le présent de vérité générale est utilisé de manière paradoxale pour signifier qu’il n’y a pas de vérité éternelle. Le spectateur assistant à une pièce de théâtre est d’ailleurs invité à penser qu’il ne peut être que le comédien d’un spectacle dont il ignore faire partie.

2. L’éloge du théâtre

Le théâtre, lieu de l’illusion, est alors un lieu de révélation. Alcandre reprend d’ailleurs la figure du philosophe qui reprend l’allégorie de la caverne. On exige de Pridamant une véritable conversion, un changement de regard sur le monde grâce au théâtre.

Le vocabulaire du théâtre est sous le signe de l’éloge. L’argent même que se partagent les comédiens est un signe de la valorisation de cet art. On demande au public de changer son regard sur le théâtre, comme Pridamant, en rendant à cet art le rang de dignité qu’il mérite.

Enfin, le théâtre peut guérir la mélancolie de Pridamant. Le baroque est une période sombre, idéologiquement avec les guerres de religion, économiquement, intellectuellement… et le théâtre semble ici être un art thérapeutique capable de faire évoluer la pulsion de mort qui habite Pridamant, en pulsion de vie, faisant revivre les morts, et réconcilier les vivants.

Dissertation

 

Le théâtre avait en Grèce une fonction avant tout sociale et sacrée : lors des fêtes de Dionysos, toute la cité avait le devoir de se rendre au théâtre afin de célébrer les valeurs de la cité. Pourtant, ce spectacle est devenu un divertissement au sens où il s’agit d’amuser, de délasser, voire de détourner du réel et des choses sérieuses. C’est en ce sens que Duvignaud et Lagoutte écrivent que le vrai public est celui qui va au théâtre « passer une soirée ». Mais alors une pièce de théâtre ne sert-elle qu’à amuser les spectateurs, et ses fonctions originelles ont-elles disparu ? Quelles sont les autres fonctions du théâtre ?

 

I. Un divertissement qui éloigne de la vie quotidienne : Passer une bonne soirée

A. des représentations qui nous éloignent et nous délivrent du quotidien

les quiproquos et autres comiques de situation présentent des scènes peu vraisemblables : on pense à Scapin enfermant son maître dans un sac pour lui donner des coups de bâton, ou Orgon, dans Tartuffe, caché sous la table assistant à la séduction de sa femme. La comédie, la farce, le vaudeville présentent ainsi des personnages auxquels on ne peut s’identifier, donnant volontiers dans la caricature pour notre plus grand plaisir.

 

B. on va au théâtre pour éprouver des émotions par procuration

outre le rire, on peut éprouver crainte et pitié dans une tragédie comme Phèdre, ou du malaise dans Les Bonnes. Les romantiques font coexister des scènes comiques et tragiques, et On ne badine pas avec l’amour de Musset commence dans l’univers grossier de la farce pour finir dans l’univers sublime du tragique. Les « farces tragiques » de Ionesco et du théâtre de dérision incarné par Beckett ont la même ambition : ouvrir la palette des émotions en redéfinissant ce qui est tragique et ce qui est comique.

 

C. Un spectacle qui éblouit

la mise en scène joue sur la fascination du spectateur. Les feux de la rampe, désignant les éclairages et les autres effets visuels, visent à éblouir les spectateurs qui sont dans l’ombre. Il s’agit alors d’en mettre plein la vue, que ce soit avec des machines et décors appréciés dans des pièces telles que Dom Juan, où la scène s’ouvre pour faire disparaître le personnage éponyme aux enfers, ou dans Médée de Corneille, où le personnage principal s’enfuit dans les airs sur le char envoyé par Jupiter. La parole est également mise en spectacle, dans la tragédie classique notamment, et l’on désignait au 17ème siècle le théâtre comme un « poème dramatique », signalant ainsi l’importance accordée à une langue qui n’appartient pas à celle du quotidien.

 

II. Mais en distrayant, le théâtre permet de faire réfléchir les spectateurs : Passer une soirée déterminante, capable de nous changer

A. Un miroir critique de la société

lieu subversif, le théâtre est ainsi une tribune publique qui permet de contester l’autorité. Beaumarchais, avec le personnage de Figaro, critique les privilèges de la naissance. La double énonciation permet de s’adresser aux spectateurs, de les interpeller, par l’intermédiaire des personnages. Dans Les Mouches de Sartre, pièce écrite pendant la Seconde guerre mondiale, le personnage d’Oreste invite les spectateurs à être responsables de leur devoir et de leur liberté, quitte à perdre la vie en partant au combat contre un tyran qui a usurpé le pouvoir. La mise en scène peut d’ailleurs actualiser des textes anciens pour évoquer des lectures contemporaines : Ariane Mnouchkine a mis en scène Tartuffe en le représentant non pas comme un dévôt chrétien, mais en islamiste intégriste. Le théâtre est ainsi volontiers engagé et vise une prise de conscience du spectateur.

 

B. Le théâtre peut éduquer les mœurs

la devise de Molière, Castigat ridendo mores, suppose que le rire puisse être éducatif. Rire du bourgeois qui veut sortir de sa classe sociale ou rire de l’Avare, c’est en ce sens tracer les contours de l’honnêteté qui définit l’idéal moral de la cour. Si Molière se moque des médecins, c’est qu’il pense sans doute que le théâtre est une thérapie bien plus efficace que les saignées et autres clystères qu’il aime parodier. De même la tragédie grecque vise à condamner les passions par le spectacle terrible de l’hybris. Un héros comme le Cid vise également à l’édification morale des spectateurs par le biais de l’admiration. Le théâtre a alors pour ambition de transformer chaque spectateur : on va au théâtre pour être meilleur.

 

C. Une invitation à penser la condition humaine

Hamlet pose une question emblématique « être ou ne pas être » : le théâtre interroge ainsi sur le sens de l’existence. De la même façon, le théâtre baroque, à travers le procédé de la mise en abyme, nous amène à nous demander si notre vie n’est pas qu’une illusion. L’illusion comique ou La vie est un songe posent ainsi la question de la réalité de notre existence.

 

 

 

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