séance 4 : vers le commentaire

Anouilh, "Le chêne et le roseau"

I. Une fable qui pastiche le modèle classique

 

1. Une fable traditionnelle

- Un récit bref : le cadre spatio-temporel est annoncé par « un jour », formule intemporelle de l'exemplum proche de l'univers de conte, à rapprocher « des bois ».

- les personnages sont des êtres personnifiés, désignés par l'article défini. On est toujours dans l'univers merveilleux, peuplé de « géants », où « le vent » devient « orage » et « souffle profond », c'est-à-dire qu'on est dans un univers de symboles, d'allégories.

- un but argumentatif : le récit a une portée morale, qui est mise en question dès les vers 2 et 3. On est dans une argumentation indirecte, qu'on pourrait appeler exemplum (forme de récit brève qui vise à donner un modèle de comportement ou de morale). Cette morale finale est implicite, c'est au lecteur de la formuler (il est invité à participer activement à la construction du sens)

>> on reprend ici l'idéal de la concision et l'univers merveilleux pour mettre en scène des modèles, des exemples.

 

2. Un récit vivant

- L'alternance des vers et des rimes rend la lecture alerte. L'alternance des registres familier / soutenu renforce d'ailleurs la variété.

- Le récit, au passé, est au présent de narration lorsque souffle la tempête.

- Les verbes de paroles « dire » qui encadrent la fable (1 et dernier vers) témoignent de la place importante du dialogue. Les questions / réponses insistent alors sur la dimension théâtrale de cette scène. Les marques d'oralité soulignent d'ailleurs le ton de la conversation (voire / hé bien).

>> il semble bien qu'on reprenne l'idéal classique de La Fontaine, dans un exercice de style proche du pastiche (reprise d'un style).

 

Mais cette réécriture n'est pas qu'un pastiche, une dimension parodique est également évidente

 

II. Une réécriture parodique

 

1. Les effets d'écho

- Structure identique : le titre de la fable, les personnages, la situation initiale / élément perturbateur / situation finale sont les mêmes que chez La Fontaine. L'alternance des vers est également reprise.

- Echos plus précis : le premier vers de la fable est intégralement repris, la répétition du verbe « plier » renvoie à la devise « je plie et ne romps pas ». Le verbe « résister » est utilisé à chaque fois dans le discours du roseau (mais chez La Fontaine, c'est le chêne qui résiste, alors que chez Anouilh, c'est les roseaux)

- Un vocabulaire archaïque renvoie au 17ème (voire, humaine nature, compère)

 

2. Effets de décalages

- le chêne parlait beaucoup et laisse davantage la parole au roseau.

- le chêne parlait avec grandiloquence, et il devient familier / le roseau parlait avec humilité, et il devient mesquin.

- allusions à la version précédente : l'histoire se répète : « tout comme la première fois ». Les personnages semblent connaître la fable, et la condamnent pour sa morale : le ton critique et les termes familiers suggèrent une distance pour changer le sens de la leçon

 

III. La mise en scène de nouvelles valeurs

 

1. La lâcheté du roseau est condamnée

- Il se réfugie derrière le groupe des « petites gens » et utilise le pronom « nous »

- Il est insultant « certains orgueilleux qui s'imaginent grands » désigne de manière à peine voilée le chêne. Le sans gêne éclate après l'orage (il ne se fût jamais permis ce mot avant)

- Son discours revendique la petitesse à travers l'énumération des adjectifs « si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents »

- Son attitude haineuse éclate dans le dénouement : la rime « haine - peines » signale sa cruauté, son plaisir de revanche, et la phrase nominale « Son regard morne allumé » souligne sa duplicité (sombre/éclairé) ou su hypocrisie. L'allitération « on sentait dans sa voix sa haine / Satisfaite » fait entendre l'harmonie imitative du serpent…

 

2. la grandeur du chêne est valorisée

Le personnage orgueilleux est transformé dans la fable en modèle héroïque

- à travers le champ lexical de la souffrance, il acquiert une dimension pathétique. Le rythme saccadé des derniers vers souligne d'ailleurs les accents de cette agonie.

- il devient « le géant », et la répétition de « mille »lui donne une dimension presque épique.

- A la duplicité du roseau (morne allumé) s'oppose le « sourire triste et beau » du personnage mourant dans une grandeur tragique. Le sourire du chêne s'oppose à la haine du roseau, les adjectifs "triste et beau" s'opposent à "morne allumé"…

Dans l'illustration, on peut insister sur l'opposition entre la droiture de l'arbre (verticalité et horizontalité) et la courbure du roseau…

 

3. Un renversement moral : la place du narrateur

- la position du narrateur est de plus en plus précise : la parenthèse « il ne se fût jamais permis ce mot avant » souligne la lâcheté du roseau, qui appelle le chêne « compère ». Le pronom « on » (« on sentait dans sa voix ») le constitue témoin de la scène, et donnant un avis. Surtout, il laisse le dernier mot au chêne, qui garde ainsi sa grandeur.

- Le dernier mot revient donc à celui qui ne courbe pas l'échine, à celui qui ne renonce pas à ses valeurs et à son identité, quitte à mourir en leur nom.

Ajouter un commentaire