corpus : présentation de Montaigne

Montaigne entreprend une œuvre dont l'intention est nouvelle en littérature. Son projet ne vise ni la glorification de l'auteur, ni une ambition moralisante. Il s'agit de se peindre sans fard. Il refuse donc de séparer le corps et l'âme dans le portrait qu'il tente de brosser de lui-même : le corps prend une place importante, c'est une source de plaisir ou de douleur, qui peut être une aide ou un handicap. Quant à la peinture de l'être moral et intellectuel, elle se fait par touches : l'auteur ne cherche pas à donner une image définitive de lui-même, mais il peint ses changements, le « passage » que son être subit constamment. Cependant, le dessein de Montaigne n'est absolument pas narcissique : à travers son portrait, il peint l'homme universel. Toute réflexion sur un événement particulier l'amène à s'interroger sur les questions majeures de la destinée humaine. En donnant à son œuvre le titre Essais, Montaigne indique d'ailleurs au lecteur le sens de celle-ci : essayer, c'est faire l'expérience, se mettre en situation d'apprentissage.

 

I. Un autoportrait

1. une peinture de soi

> le voc de la peinture très présent (verbes peindre, voir, exposer), et rappelle d'ailleurs l'émergence du portrait / autoportrait pictural à la Renaissance.

> Cette exposition de soi se lit enfin à travers les multiples présentatifs « C'est (un livre, une humeur, le seul livre... ) »

> Le livre n'est cependant pas seulement « une » image de son auteur, mais c'est un équivalent, un autre lui-même : il est « la matière de son livre », qui lui est consubstantiel. Cette équivalence est mise en scène avec les pronoms réfléchis qui jouent comme un miroir : « je suis moi-même la matière de mon livre » : Montaigne est à la fois sujet et objet… « je me suis offert à moi-même comme sujet.. » : il y a même dans cette dernière citation une sorte de vertige dans la mise en abyme que constitue le livre.

 

2. la recherche du naturel

> Montaigne affirme son refus de l'artifice : « un livre de bonne foi » rappelle l'étymologie de foi, fidèle (à la nature). Le livre n'est pas une représentation de soi (qui relèverait de la rhétorique de l'éloge), mais une présentation de soi (qui ouvre la voie à de possibles blâmes du lecteur).

> Ce refus de l'artifice se lit également à travers les références artisanales : l'ouvrier ou l'écrivain qui « façonnent » s'opposent au récit de Montaigne : façonner, c'est proposer une image définitive, glorieuse, proche de l'hagiographie (récit relatant la vie des saints), et proposer une icône mensongère (cf le mot « gloire »)… quand Montaigne insiste sur son humilité, sur le côté intime et familier de son livre (cf l'exagération « me trouvant entièrement dépourvu et vide »…).

> Le rapport à la nature se lit dans la comparaison humoristique aux « sauvages » qui sont dans un rapport privilégié avec la nature (cf bon sauvage). Sa mise à nu est à prendre alors au sens propre comme au figuré… A travers les marques d'humour, le naturel de Montaigne se laisse apprécier.

>> La vérité sur soi se lit dans une entreprise de dépouillement : il s'agit d'ôter le faste de la description, d'enlever ses habits d'homme civilisé, et d'entrer en soi...

 

3. un projet extravagant

> un projet paradoxal : destiné à la famille, et dédié à un lecteur anonyme… Montaigne ne craint pas la contradiction, et la revendique même. Son portrait n'est pas uniforme et revendique la bizarrerie, la fluctuation. Son projet est ainsi pris entre une ambition philosophique, et la conscience d'écrire un « sujet si frivole et si vain ».

> le portrait aura ainsi la dynamique de l'antithèse et de l'oxymore, il sera comme son auteur, « en mouvement » (cf mon « âme est toujours en train d'apprendre »).

>> Le projet est « extravagant » au sens étymologique : il s'agit de sortir du chemin, filant ainsi la métaphore du passage...

 

II. Une vision humaniste

 

1. une vision baroque de l'homme et du monde

> Après la découverte du Nouveau Monde, l'idée que nous sommes dans un univers stable et figé s'effondre. Les querelles religieuses donnent l'impression que le sens de la vie nous échappe. La seule vérité est désormais celle de l'inconsistance des choses : « le monde est une branloire pérenne (balançoire éternelle) ».

> Dans cet univers en mouvement, l'espace et le temps sont sous le signe du passage : les repères spatio-temporels sont inconsistants, à l'image du temps dont la durée s'égrène « de jour en jour, de minute en minute ». Vouloir se peindre, alors que l'homme est changeant, que le monde est inconsistant, c'est se soumettre au vagabondage de la pensée et de la plume qui va « à sauts et à gambade ».

>> On peut caractériser l'écriture de Montaigne de baroque, au sens où elle aime la digression, ne recule pas devant les contradictions et paradoxes, et tend à être insaisissable (c'est le propre de l'Essai, genre nouveau, inventé par Montaigne et difficilement définissable).

 

2. dimension privée et universelle d'une œuvre exemplaire

> Avec la Renaissance, la notion d'individu apparaît, et sera célébrée dans l'art du portrait : l'homme n'est plus indifférencié, soumis à la société, mais son existence a une autonomie qui a une valeur. Cette autonomie témoigne de l'essence universelle de l'homme. « Chaque homme porte en soi la forme de l'humaine condition » : dans cette maxime au présent de vérité générale, on entend que les seules vérités immuables sont celles qui concernent la connaissance de soi.

> le dialogue entre auteur et lecteur est alors intéressant : le lecteur est pris à témoin, il est interpellé, mis en scène… à travers ces familiarité, c'est le partage d'une humanité commune qui s'élabore. Là aussi, on passe d'une dimension privée à une dimension universelle...

 

3. un projet philosophique : l'écriture comme dévoilement de la vérité

connaissance de soi comme but ultime de l'écriture : l'écriture permet de se connaître, de faire advenir une vérité. Vérité n'est pas ce qui éclaire le monde, mais ce qui m'éclaire...

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