Thérèse Raquin

lecture analytique 1

I. Une scène de crime dramatique, théâtralisée

1. rétrécissement du point de vue
> on passe de la description du paysage à la barque, puis aux corps des personnages (changement de plan, du plan large au gros plan, avec effet de zoom)
> effacement des formes avec la nuit qui tombe, mouvements du regard vers le bas, éloignement signifié sonorement « on entendait, derrière l'une des îles, les chants adoucis... »
>> impression d'un piège qui se referme

2. accélération du récit
> on a d'abord des connecteurs de lieux (description) puis des connecteurs de temps (action) de plus en plus rapides.  Le passage de l'imparfait au présent de narration, puis au passé simple, et au discours direct : on a une action de plus en plus « vivante »
> passage de verbes signifiant l'inaction (cessa, se taisaient, ne répondit pas) à une action de plus en plus violente : chatouiller, serrer, saisir, lutter, éclater…
>> intensité crescendo du suspense

3. une tragédie mise en scène, un coup monté :
> complicité des personnages sous-entendue, et complicité avec le lecteur à travers l'implicite (ex : au loin, la rivière était libre : polysémie de ce dernier mot, soit c'est une métaphore qui personnifie la rivière, soit on est complices d'une scène préméditée, et c'est bon, la voie est libre…) et le pronom « on » (« on entendait, derrière l'une des îles, les chants adoucis... »
> complicité de la nature, personnifiée, et qui semble ainsi participer à la scène
>> dimension tragique avec scène de sacrifice du bouc émissaire

II. Un meurtre grotesque, dépourvu de grandeur

1. Une scène proche de la comédie
> situation du vaudeville : le mari cocu
> procédés de comédie, le quiproquo, les jeux relevant de la farce (chatouilles, plaisanteries)
> présence d'ironie tragique : paroles de Camille = prémonitoires
>> Pas de grandeur tragique, mais plutôt un ton burlesque

2. Une lutte sans héroïsme
> Situation inéquitable : deux (complices) contre un (inconscient). Absence de combat relaté au point de vue interne à travers la peur et l'incompréhension de la victime .
> Laurent = figure de la force, de la brute. Métonymie des « grosses mains » qui se préparent à serrer, et « figure effrayante » qui fait de lui un monstre.  Il est même dépersonnalisé lorsque Camille sent « une main rude », c'est une force indéfinie, anonyme… Le « spectacle horrible de la lutte » s'oppose enfin à la beauté épique des combats héroïques
>>  meurtre comme scandale d'immoralité, qui remet en question la notion d'humanité à travers ces figures d'anti-héros

III. Le spectacle d'une violence primitive, un régression infernale.

1. régression à l'état de nature : 
> la nature est personnifiée, les hommes reviennent à l'état de « bêtes qui se défendent » : l'animalité domine, comme en témoigne la présence du corps de plus en plus précis, intérieur (les nerfs)
> conflit avec la nature : les personnages sont immobiles, la nature en mouvement, les personnages se taisent, la nature parle… le paysage signale un acte contre nature
> le personnage qui parlait est forcé au silence, sa voix s'éteint progressivement. Les meurtriers ne parlent pas, ils sont muets tout au long de la scène. Règne du non dit, de l'interdit, de l'indicible...
>> le paysage scindé horizontalement et verticalement, placé sous le signe de l'oxymore « douloureusement calme », témoigne du déchirement du meurtre. L'homme se sépare de la nature, se déchire (diabolos)

2. régression à un temps tragique de l'humanité
> image de la sortie du paradis originel.
> Image surtout de la descente aux enfers
>> l'entreprise naturaliste s'appuie sur une plongée dans notre imaginaire. Cette scène se passe sur l'eau, il s'agit presque d'une scène de baptême, une entrée dans une nouvelle vie, une vie de mort. L'eau n'est pas ici symbole de vie, mais d'engloutissement. Aux éclats de rire de Camille répondent les « éclats en sanglots » de Thérèse, qui finit comme morte, dans la même position que Camille, au fond de la barque. Paradoxalement, le meurtre de Camille entraine une mourante vie. 

Ajouter un commentaire