Créer un site internet

le personnage du nouveau roman

- Sarraute, L’ère du soupçon, Le Planétarium, Robbe-Grillet, La Jalousie

 

Texte 1 : UN REFUS DE LA PSYCHOLOGIE

 

La mort du personnage

Sarraute énumère ici les caractéristiques traditionnelles du personnage de roman, notamment dans les romans réalistes du xix e siècle, pour dire leur inanité. L’énumération renvoie à un personnage doté d’une identité, d’un portrait physique et moral, et dont les actions, les réactions sont motivées. Or un tel type de personnage ne permet plus pour Nathalie Sarraute, paradoxalement, de rendre compte de « la réalité psychologique actuelle ». Ce constat résulte de la prise en compte de ce qui « échappe » à l’individu, notamment son inconscient. En effet, entre Balzac et Sarraute, le travail de Freud et de ses disciples a conduit à une nouvelle approche de l’individu et de son intériorité, qui ne peuvent plus être nettement définies.

 

Le renouveau du personnage

Désormais le romancier ne cherchera plus à peindre un personnage et sa « psychologie », mais rendra compte d’« indices » traduisant un « élément psychologique » aux contours mouvants. Le narrateur doit accepter de renoncer à son omniscience. Ainsi le personnage ne sera plus caractérisé de manière claire et définitive, et le lecteur aura à reconstruire le personnage, empruntant les mêmes chemins que l’auteur (« plonge en eux aussi loin que l’auteur et fait sienne sa vision »). Cela conduit à proposer des personnages qui peuvent paraître lacunaires, dont l’interprétation est soumise à des hypothèses, sans que le sens en soit figé.

 

Texte 2 : L’INTERIORITE DU PERSONNAGE

 

Un personnage en proie au malaise

Le personnage évoqué est en proie à un malaise qui se traduit par des manifestations physiques importantes : « la tête lui tourne un peu ses jambes faiblissent ; le cœur va lui manquer ». Le vertige intérieur (« quelque chose en elle s’arrache et tombe ; Vertige ; Tout vacille ») est donné à percevoir et à comprendre d’abord par ses troubles physiques. La jeune femme est troublée, ne contrôle pas la situation. Les paroles qu’elle adresse à sa mère témoignent de sa volonté d’esquiver l’affrontement (répétition de « mais » ; « Ce n’est pas grave au fond ; ça s’arrangera »), alors même que la tension semble extrême (« nous ne sommes pas si mauvais »). L’évocation de ce malaise reste assez vague car aucune explication n’est donnée explicitement. Pourtant les sensations décrites rendent ce malaise palpable pour le lecteur. De plus le rythme varié des phrases, qui sont tantôt saccadées, tantôt longues et fluides, ainsi que l’usage des points de suspension, rendent compte du trouble du personnage, de ses efforts pour garder une certaine maîtrise d’elle-même, mais aussi de ses tentatives pour décrypter ce qu’elle ressent.

 

La lecture des « indices »

Et le lecteur l’accompagne dans ce travail d’interprétation, en exploitant les indices qui lui sont livrés. Tout d’abord on perçoit le rôle que la jeune femme s’impose de jouer face à sa mère : « il faut se raidir ; offrir un visage placide ». L’enjeu semble être de maintenir une apparente harmonie familiale, au détriment de la sincérité des relations. Dans les paroles prononcées, les sentiments ne sont formulés qu’à la forme négative : « je ne suis pas triste, non je ne suis pas vexée », comme si la

syntaxe suffisait à les faire disparaître. Le malaise de la jeune femme apparaît davantage comme la conséquence de cette hypocrisie des relations, cette impossibilité de parler de ce qui dérange. Tel est ce que suggère le souvenir d’enfance convoqué par le personnage. Il s’agit d’abord d’un souvenir heureux, dans lequel dominent des sensations agréables (vue : « les grandes fleurs roses des marronniers » ; toucher : « l’air tremble légèrement » ; odorat : « hume avec délices »), un moment de plénitude (« c’est le bonheur »). L’accumulation de notations positives donne presque une dimension irréelle, féérique, au paysage et au moment évoqués. Ce qui rend d’autant plus violente la rupture produite par le cri de sa mère, cri de dégoût devant la « charrette » à l’« atroce odeur ». Le premier indice proposé est la brutalité de la mère de la jeune femme, dont la réaction est particulièrement vive, comme l’indiquent les adjectifs qualifiant son cri : « inhumain, strident ». De plus la réaction de dégoût devient une métaphore de l’évitement (« en détournant la tête, en se bouchant le nez »). Le lecteur comprend que la « charrette » pour l’enfant devenue jeune femme est remplacée par sa mère, l’écœurement physique est devenu intérieur. La détresse du personnage, l’intensité de ses sentiments ne sont donc pas décrits à l’aide d’un vocabulaire psychologique, mais sont suggérés par des indices qui, décryptés, les traduisent avec précision et nuances.

 

Texte 3 : LA PLACE DU REGARD

 

Une scène intrigante

Cette scène est assez intrigante pour le lecteur, tout d’abord à cause des choix de narration et de focalisation. La voix narrative semble absente, neutre. Le point de vue adopté est apparemment externe : aucun personnage n’est nommé, aucun cadre spatio-temporel précis n’est mis en place, aucune intériorité n’est livrée. Le présent employé sert la description minutieuse qui est proposée. Ce temps invite le lecteur à découvrir la scène « en direct », ce qui crée un effet de réalité. De plus l’accumulation de détails, apparemment insignifiants, permet de visualiser précisément la scène. Ces choix donnent une dimension très cinématographique à l’écriture, et contribuent à susciter la curiosité du lecteur, déstabilisé par cette attention extrême au moindre détail. L’absence d’identification des personnages d’une part, l’accumulation de détails découverts peu à peu d’autre part donnent presque un caractère policier au récit. Le lecteur, pris au jeu, va alors tenter d’interpréter les indices qui lui sont livrés.

 

L’enquête du lecteur

En effet une lecture attentive de la description permet d’émettre des hypothèses sur les personnages. Tout d’abord, et surtout, sur la femme qui se brosse. Ce sont en premier lieu des indices sur son physique qui nous sont livrés : « la masse noire », le long brossage évoquent une femme à la chevelure imposante. De plus les gestes accomplis témoignent d’une grande précision (« une moitié ; l’autre moitié ; la main droite ; la main gauche ») et d’une assurance, d’une maîtrise (« très vite ; la main qui l’enserre avec fermeté ; un geste sûr »). Enfin une certaine sensualité se dégage de cette scène, ne serait-ce que par son sujet, puisque la chevelure est un attribut particulièrement sensuel. Les mouvements de la brosse (« remonte ; frappe ») ainsi que ceux de la tête (« la tête s’incline ; la tête penche davantage ») accroissent d’autant cette sensualité. Si la femme reste sans nom et sans visage, son attitude, l’effet qu’elle peut produire se dessinent dans l’imagination du lecteur.

Si le point de vue adopté est apparemment externe, on peut aussi faire l’hypothèse – comme c’est le cas dans le roman – d’un point de vue interne rendant compte du regard porté sur la femme. La précision de la description traduirait alors la fascination de celui qui regarde. L’évocation non seulement des gestes, mais aussi de différentes parties du corps de la femme (la chevelure bien sûr, mais aussi « le dos ; l’épaule ; la tête ; la nuque ; la main ; le poignet ; la paume ; les doigts ») laisse transparaître un certain désir. Le regard, caché, prend évidemment une dimension voyeuriste. Et le plus troublant, c’est que les choix narratifs placent le lecteur dans cette même posture de voyeur. Finalement, en semblant renoncer à son omniscience et à la description psychologique, le romancier manifeste son pouvoir, tout à la fois sur ses personnages et sur son lecteur.

 

 

Ajouter un commentaire

 
×