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lettre aux jumeaux

l'épilogue, la lettre aux jumeaux

- Le dénouement a déjà eu lieu : l’énigme du père / frère est résolue dans les scènes 36 et 37, la vérité a éclaté (l’anagnorisis, ou « reconnaissance » selon Aristote, qui définit le dénouement). On est plutôt dans un épilogue : il ne s’agit pas d’apporter de nouvelles informations, mais de clore la pièce en faisant écho au prologue qui l’ouvrait. On retrouve le personnage d’Hermile Lebel, qui utilise les mêmes expressions qu’au prologue. Faisant référence au début de la pièce, la lettre est cependant tournée vers l’avenir des jumeaux, après l’accomplissement des dernières volontés inscrites dans le testament. L’originalité de la scène réside dans le traitement théâtral de la lettre, qui fournit l’occasion d’une parole poétique d’outre-tombe au service d’une présence scénique particulière. La lettre est un moyen d’assumer la fonction maternelle en s’adressant directement aux enfants : le lien est renoué La parole de Nawal livre une leçon de vie, permettant la fin d’un deuil et la possibilité d’un avenir.

 

I. Une lettre maternelle : une consolation

 

une figure maternelle

La lettre contraste avec la sécheresse du testament. Ici, le ton est tout autre, comme en témoigne la signature hypocoristique « Votre mère ». Elle prend soin de s’adresser à chacun d’eux tout à tour, de s’enquérir de ce qu’ils ressentent (évoquant les larmes de Simon, le rire et la colère de Jeanne) en figure maternelle compatissante. Figure maternelle, elle poursuit l’apprentissage des enfants « il faut réapprendre à avaler sa salive » avec les injonctions parentales. Figure maternelle, elle console et félicite son fils « tu as su retirer... ». Mère aimante, elle fait de son discours une berceuse « L’histoire est en miettes / Doucement / Consoler chaque morceau / Doucement / Guérir chaque souvenir / Doucement / Bercer chaque image... » : à chaque fois, on a une action réparatrice qui place implicitement l’enfant au centre.

 

une figure de la réconciliation

On a un personnage double (entre silence et parole) avec deux discours (entre sécheresse et compassion), deux enfants (avec deux attitudes différentes, donc)… et l’effet de miroir entre les personnage est saisissant : on est dans un discours de la réconciliation. Le discours adressé à Jeanne est sur ce point éloquent : Jeanne est comparée à Sawda, son alter ego marchant « côte à côte », et même assimilée par une identification maximale à travers le « nous » des « femmes de notre famille ». Elles ont un destin similaire, sous le signe de la glu (englué) et du parallélisme « j’ai été en colère contre ma mère / tout comme tu es en colère contre moi ».

 

Une figure émancipatrice

S’adressant aux deux enfants, Nawal justifie son silence par une preuve d’amour : elle évite que la vérité, dite d’emblée dans toute sa violence, ne soit vécue comme une condamnation et une malédiction. La vérité, devenue une quête soulignée par le champ lexical de l’initiation (« vérité, révélées, découvertes »), place les enfants en position de sujets actifs, et non de personnages tragiques et passifs. Loin de la mater dolorosa, on a une figure qui accompagne les enfants vers une sortie du tragique, vers la sortie du travail de deuil.

 

II. Le traitement théâtral de la lettre : le retour de Nawal sur la scène des vivants

 

une parole de vivante

La lettre n’est pas lue, mais donne lieu à une parole vive, comme si Nawal était toujours vivante. Il n’y a pas de didascalie pour déréaliser l’irruption de cette voix. La paradoxe du discours de Nawal réside dans le fait que celle qui a gardé le silence cinq ans durant retrouve la parole une fois mise au tombeau « vous avez ouvert l’enveloppe, vous avez brisé le silence », dit-elle, comme si les enfants avaient accompli une action mmagique, comme s’ils l’avaient libérée d’un mauvais sort. Ultime paradoxe, Nawal apparaît pour préparer sa disparition « Gravez mon nom sur la pierre et posez la pierre sur ma tombe ». Cette parole prépare ainsi un silence définitif, mais un silence habité, apaisé.

 

Une parole poétique

La disposition du texte assimile la voix de Nawal à une parole poétique en vers libres. On voit ainsi apparaître des strophes. L’écriture est d’ailleurs manifestement rythmée par des anaphores (« à présent / Alors) et autres figures comme les répétitions, « avaler sa salive / doucement... » l’anadiplose « il faut reconstruire l’histoire. L’histoire est en miettes. » ou l’épanadiplose « Souris, Jeanne, souris ». Cette parole d’outre-tombe est ainsi une parole précieuse, musicale, faisant sonner les propos comme une révélation.

 

Une parole au présent

Surtout, cette parole est au présent ! Nawal s’adresse successivement à ses enfants au présent d’énonciation, dans l’immédiateté de la situation, alors que la lettre a été rédigée cinq ans auparavant. Elle-même décrit ses réactions en miroir de celles des enfants « ne sèche pas tes larmes car je ne sèche pas les miennes » On est bien dans une communion immédiate, dans l’instantanéité des émotions. On a la constitution d’un même espace temps à travers le tutoiement, les indices de lieu et de temps (« ici et maintenant ») qu’on appelle les déictiques… C’est ainsi quelle prépare les jumeaux à l’avenir, en les aidant à construire une nouvelle identité « lorsqu’on vous demandera votre histoire, dites que... »


III. Un héritage : la fin du deuil et la possibilité de renaître

 

en héritage : des directives qui donnent une direction

on peut être surpris par l’importance des injonctions « il faut casser le fil / reconstruire l’histoire »… il s’agit alors de se tourner résolument vers l’avenir, et l’utilisation du futur en témoigne « on découvrira, on vous demandera ».

 

en héritage : une origine qui donne un sens

les deux hypothèses à la question « où commence votre histoire ? » sont insuffisantes : les polarités de l’amour et de la haine peuvent s’inverser. Nawal dénonce en tout cas l’idée de destin lié aux circonstances de la naissance : elle déjoue la notion de malédiction qui préside au mythe et à certaines tragédies. Nawal enseigne au contraire la liberté de construire son histoire, la liberté de se choisir un point d’origine.

 

En héritage : une filiation

la seule personne de la famille qui est nommée est Nazira, la grand-mère. En intégrant les enfants dans cette filiation, Nawal offre la possibilié d’une nouvelle naissance, placée sous le signe d’une promesse accomplie en leur permettant de s’approprier un élément de sa propre histoire et de renouveler le geste de l’écriture de l’épitaphe.

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