présentation

la démarche poétique de Ponge

Distinguons d'abord l'objet / la chose. L’objet est ce qui s’oppose à un sujet (lyrique), il est dépourvu du mystère de la « chose » indéfinie, imprécise, en attente d’être nommée.

 

A/ Poétique de l’objet

1 - Le dégoût des idées et du moi.

La poésie de Ponge a un caractère général, objectif, anti-poétique. Cette impersonnalité recherchée doit permettre de résister à nos anciennes conceptions, aux clichés hérités. Le poète refuse de s'inscrire dans une tradition, il recherche au contraire une approche débarrassée de tout préjugé. Ponge refuse aussi l’exaltation des sentiments ou l’exaltation des idées : l’enthousiasme ne vient pas de l’homme, mais du monde. On a pu parler d’un refus de l’humanisme chez Ponge en ce sens. L’expression désaffuble la «?poésie?» de ses charmes, de son brillant officiel, de sa pompe, provoque la destruction des genres traditionnels qui cloisonnent l’espace littéraire. Il s’agit de faire table rase de l’histoire poétique. La poésie de Ponge est un exercice de rééducation verbale. Tout concourt dans le discours expérimental à écrire contre les conventions patheuses.

 

2 - Céder l’initiative aux choses.

Les choses pour lesquelles Ponge choisit de prendre parti sont les plus humbles : objets ou phénomènes naturels (pluie, orange, escargots, mollusque, bords de mer, galet), choses fabriquées (cageot, cigarette, pain), lieux précis (le restaurant Lemeunier rue de la Chaussée d'Antin), types humains (gymnaste, jeune mère). Trente-deux objets triviaux, symboliquement neutres, décrits non du point de vue de l'homme mais à partir d'eux-mêmes. C'est seulement lorsqu'ont été neutralisés tous les discours et valeurs socialement projetés sur elles, que les choses peuvent nous donner leurs leçons, nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes. « Il ne s'agit pas d'arranger les choses [...]. Il faut que les choses nous dérangent. » (Méthodes, 1961). Il invente ainsi une poésie qui remet en cause le sens commun, ce bon sens, tournant le dos à cette prétendue grandeur humaine.

 

B/ Poétique de l’objeu pour « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu » (Mallarmé)

1 - Le langage, glaise de l’artisan poète.

La tâche du poète est, avant tout, de prendre en charge l’immense vocabulaire du monde et de le dévoyer en toute «?impropriété?», sans tenir aucun compte des critères habituels, de la hiérarchie, de la désignation, de la beauté (dernier des soucis), des mythes, de la religion (athéisme, matérialisme de Ponge). L’objet ne doit rien à son rang dans le règne social ou philosophique, il est emprunté directement à la langue, "vraiment article du dictionnaire français". Nommer un objet quel qu’il soit, c’est le saisir au niveau des associations d’idées les plus insolites qu’il met en branle. L’objet/le mot révèle ses faces (relations) cachées, censurées par une convention aliénante.

 

2 - Humour et ironie.

Il s’agit donc de jouer avec les mots, avec leurs formes, leurs sons, leur étymologie, les expressions figées… Tout est bon pour régénérer le langage qui se dessèche dans le quotidien. L’humour et l’ironie sont le moyen d’une prise de conscience du langage sur lui-même : le jeu de mots revitalise le langage et est ainsi fondamentalement poétique.

 

C/ Poétique de l’objoie : La poésie comme « raison de vivre heureux » (Ponge)

1 – le plaisir de tout dire

Pas de censure : l’art de Ponge se confond avec un "tout dire". Opération radicale, anti-tabou, antipoétique, amorale, iconoclaste qui pousse le langage sur le divan du psychanalyste. Là, s’écrit "tout ce qui passe par la tête" une fois soulevée "la trappe du rêve et du sommeil", là sautent les interdictions…

 

2. l’érotique du langage

le jeu pongien fonctionne à partir de la rage de l’expression omniprésente, phénomène dévastateur par excellence : le stylet du poète défigure (sadisme). Et la joie qui en résulte est le contraire d’un béat contentement devant la beauté ou la vérité de la création (il s’agirait plutôt de décréation). Cette joie (objoie) c’est le plaisir de l’inter-dit, le plaisir lié à la transgression des normes.

Ecrire c’est abuser du langage, c’est violer au sens propre l’ordre littéral existant, c’est enfreindre les règles du discours traditionnel, donner le fouet à l’expression avec un primordial irrespect, voire avec vice, jusqu’à l’orgasme et recommencer indéfiniment…

 

3 - Hymne à la richesse de la matière.

On a une écriture qui recherche une proximité avec les choses, une écriture qui frôle son objet, la caresse. C’est une démarche proche de la phénoménologie, partie de la philosophie où on étudie la description des phénomènes perçus. Le contact est toujours riche, et le vocabulaire des sens permet d’assurer une connaissance plus immédiate, plus concrète, du monde.

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