L'ivresse peinte

Confrontation du Bacchus du Caravage et de La Prune de Manet

Quelques éléments pour poursuivre les pistes évoquées en classe :

1. Deux invitations à boire opposées

> Bacchus nous invite en nous regardant : le cadrage, comme chez Manet, nous place à la hauteur du regard du personnage. Cependant, chez Manet, le personnage détourne son regard, qui signifie plutôt l’absence. Chez Caravage, on célèbre ainsi la présence de l’autre, alors que chez Manet, l’alcool nous rend absent à nous-même dans un oubli de soi.

> A la sensualité du Caravage, où le personnage est érotisé, s’oppose ainsi l’absence de sensations du personnage de Manet. L’invitation à franchir un interdit, qui fait rougir le jeune dieu, devient chez Manet une représentation de l’absence de désir. Les couleurs sont fades, et le personnage n’est pas intéressé par son propre verre.

 

2. idéalisme et réalisme

> Le Caravage présente un personnage au corps harmonieux, dans une pose élégante, et dans un lieu intime. La lumière semble irradier du personnage, dont l’habit blanc rappelle les drapés de l’antiquité. Le vin nous fait ainsi entrer dans un univers mystique, en compagnie du dieu.

> Manet fait le choix de ne pas embellir son personnage, peu gracieux dans sa pose avachie, avec sa cigarette. La robe devient un marqueur social : on identifie une ouvrière. On est dans un univers social, le café, qui semble participer à la dégradation de la condition féminine.

> L’impression d’isolement du personnage est d’autant plus importante chez Manet que l’arrière plan, une grille, suggère la confusion des idées dans laquelle le personnage est enfermé.

 

3. Le vin divin et l’alcool inhumain

> la nature participe à l’ivresse bacchique : on est sous le signe d’une nature qui se renouvelle, une ivresse qui régénère l’esprit (symbole de la couronne de fleurs)

> à la légèreté de la peinture du Caravage, soulignée par la finesse des verres, ou la subtilité du clair obscur, s’oppose la lourdeur de la peinture de Manet, où la femme adopte la position du mélancolique, où le regard tombe jusque sous la table.

> chez Manet, un parallélisme dans la composition peut être observé : les couleurs du verre se retrouvent dans le personnage (le pied du verre fait écho à l’habit, la prune rappelle le chapeau foncé). Visuellement, le personnage est assimilé à cette boisson, il se métamorphose ou se dégrade, se réifie.

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