lecture analytique : Figaro

le duel verbal avec le comte

Proposition de correction du travail effectué en classe :

 

Le Comte

Figaro

Caractéristiques morales

Personnage libertin séducteur manipulateur, et politique.

Il prête à Figaro ses propres vices.

Refus de correspondre au type du valet de comédie, fourbe et vénal.

Refus d'être un stéréotype.

Pouvoir et rapport de forces

abus de pouvoir de ce personnage qui est sous le signe de l'hybris

critique du pouvoir, avec un langage du renversement de situation (figure contestataire)

Idéologie

Un personnage matérialiste, attiré par les corps, l'argent, l'ambition

Un personnage spirituel, capable de réflexion, avec un idéal de bonheur et d'indépendance

Caractéristiques scéniques et discursives

Ton méprisant visant à rabaisser

Questions inquisitrices

Phrases courtes avec implicite qui suggère des insinuations

Ton ironique et plein de répartie

Capacité à formuler des aphorismes à valeur générale

Capacité de briller dans une tirade

Rapport au public

Un « anti »-héros (distanciation) aux allures tyranniques

Un modèle à suivre (adhésion) aux valeurs démocratiques

Dimension sociale

un personnage qui n'est pas à la hauteur de son rang

un personnage qui s'élève au rang de dignité d'un maître

 

 

Problématique :

Comment s'élabore, dans cette scène d'affrontement, une critique sociale grâce à la verve satirique de Figaro.

 

Plan possible :

 

I. Une scène conflictuelle

1. Une joute verbale (stichomythie, rythme des répliques… )

2. opposition des valeurs morales

3. un théâtre qui met en scène des rapports de force et de pouvoir

 

II. Une scène comique

1. Le double jeu des personnages (souligné par les apartés des didascalies)

2. comique de caractère : une caricature de maître

3. comique de situation : vers un renversement des rôles sociaux (dimension sociale)

 

III. Une satire sociale

1. Une lutte idéologique de plus en plus manifeste (évolution de la structure du texte)

2. Un public forcément interpellé (distanciation et adhésion)

3. une scène subversive jusque dans la redéfinition des rôles théâtraux (caractéristiques scéniques et discursives)

 

Autre exploitation possible :

 

Chacun cache son jeu, le but du Comte étant de savoir si Figaro est au courant de ses manœuvres malhonnêtes, celui de Figaro de ne pas se démasquer. Le dialogue devient ici un duel verbal. Le spectateur suit le cheminement des réflexions de l’un et de l’autre grâce aux apartés permis par la double énonciation. C’est donc à une mise en scène dans la mise en scène que le public assiste, pour son plus grand divertissement.

 

I. Le duel verbal

 

1. un comte tyrannique : le mauvais maître !

Le Comte s’informe au moyen d'interrogatives accusatrices, offensantes, qui ravalent Figaro au rang de valet fourbe (« Combien la Comtesse t’a-t-elle donné […] ? » ; « Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours du louche en ce que tu fais ? »). Cette mise en cause de son fidèle serviteur est choquante pour le public du Barbier de Séville : elle témoigne de l’ingratitude et de la violence du personnage qui exige des confidences (« tu me disais tout »). Elles ne peuvent que déplaire quand on sait comme Figaro ce qu’il cache : la volonté d’abuser d’un « droit honteux ». Porteur de contre-valeurs, Almaviva représente la tyrannie, l’abus de pouvoir. Il masque son jeu, trahit et se permet d’accuser, de critiquer, de mener des interrogatoires. La démarche inquisitrice d’Almaviva dans cette scène est une forme condamnable d’ « hybris »

 

2. Un dialogue animé 

On peut relever les stichomythies brèves et vives qui caractérisent la joute oratoire. Interrogatives du Comte / interrogatives et interruption de Figaro qui riposte du tac au tac. Impératifs (« Tenez », «n’humilions pas ») et aphorismes de Figaro : « C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts » jusqu’à l’amplification de la tirade sur les courtisans avec effet de chute hyperbolique : « ou je meure !». Figaro mène le jeu : il interrompt son maître, lui parle à l’impératif pour lui faire la leçon, généralise avant de retourner le jeu des interrogatives contre celui qui l’avait induit : « Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ?». c’est une attaque indirecte du Comte qui vise la malhonnêteté et le libertinage d’Almaviva, «vide et creux » comme ses répliques…

 

3. évolution du valet.

Le valet ne répond plus au stéréotype du fourbe et fripon de la Commedia dell’arte. Le portrait dévalorisant que dresse Almaviva de Figaro ne lui correspond pas, de sorte que le blâme se retourne contre lui : si quelqu’un dans cette comédie est « louche » , de « réputation détestable », c’est davantage le Comte que Figaro. Ce dernier ne répond plus au stéréotype du valet de comédie : il ne « marche(r) » plus « à la fortune » , et ne cherche plus à s’ « avancer » , et n’a rien de « médiocre et rampant » . La tension entre les deux hommes rappelle, à la veille de la révolution française que le théâtre est un « champ de forces » (A. Vitez). Ainsi, cette joute oratoire où le valet semble dominer le maître par son esprit et sa morale annonce les revendications sociales qui conduiront à la Révolution française.

 

II. Une comédie satirique

 

1. Le comique de situation :

 

les apartés indiqués par les didascalies ponctuent la scène. Cet effet comique propre au théâtre est rendu possible par la double énonciation qui permet de diviser la scène en deux pour voir et entendre les deux personnages prendre à parti le spectateur. Il provoque ainsi un double effet comique de mise en abîme, de comédie dans la comédie qui rend le spectateur seul maître du jeu, capable d’apprécier le double jeu des personnages : d’attaque de l’un qui cherche à savoir, et d’esquive de l’autre qui ne veut pas se trahir. Le spectateur jouit également d'un statut privilégié : il en sait plus que les personnages et les voit se débattre...

 

2. Le comique de caractère :

Almaviva est méprisant, injuste et malhonnête ; son ironie offensive et insultante n’est pas sympathique; le sens de la répartie de Figaro, ironique, lucide et insolent souligne le contraste avec la jalousie et le libertinage du Comte. Almaviva est présenté comme une machine à séduire toutes les femmes. L’esprit frondeur de Figaro vise indirectement le Comte à travers sa critique des intrigants : charge satirique contre leur malhonnêteté et leur oisiveté.

 

3. Une scène subversive :

Figaro, par sa lucidité, l’intelligence et la souplesse de ses répliques ironiques témoigne de son esprit d’à-propos et de sa dignité. Il s’oppose au mécanisme inquisiteur chargé de menaces de l’aristocrate arrogant et égocentrique, sûr de son pouvoir. Le droit à l’honneur et au bonheur qu’il revendique montre qu’il a évolué depuis Le Barbier de Séville, à la différence d’Almaviva. Les motivations basses que le Comte prête à son valet sont retournées par ce dernier qui refuse de se laisser enfermer dans le carcan des accusations d’un maître indigne : « n’humilions pas l’homme qui nous sert, crainte d’en faire un mauvais valet» ; «C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts » ; « Et si je vaux mieux qu’elle ?». Ce sens de la répartie et de la dignité, ce renversement des rôles entre un valet garant de l’honneur et un maître qui déshonore sa condition, rappellent la réplique du spirituel barbier au cours de la scène de retrouvailles entre les deux hommes dans Le Barbier de Séville : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?» (I, 2).

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