séance 1 : Dom Juan

lecture analytique de l'acte I scène 2

texte :

Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un coeur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
SGANARELLE. Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous ayez appris cela par coeur, et vous parlez tout comme un livre.
DON JUAN. Qu'as-tu à dire là-dessus ?
SGANARELLE. Ma foi ! j'ai à dire., je ne sais ; car vous tournez les choses d'une manière, qu'il semble que vous avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas. J'avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m'ont brouillé tout cela. Laissez faire : une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer avec vous.
DON JUAN. Tu feras bien.
SGANARELLE. Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m'avez donnée, si je vous disais que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ?
DON JUAN. Comment ? quelle vie est-ce que je mène ?
SGANARELLE. Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites.
DON JUAN. Y a-t-il rien de plus agréable ?
SGANARELLE. Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m'en accommoderais assez, moi, s'il n'y avait point de mal ; mais, Monsieur, se jouer ainsi d'un mystère sacré, et.
DON JUAN. Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine.
SGANARELLE. Ma foi ! Monsieur, j'ai toujours ouï dire que c'est une méchante raillerie que de se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin.
DON JUAN. Holà ! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.
SGANARELLE. Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde. Vous savez ce que vous faites, vous ; et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons ; mais il y a de certainsjouer ainsi d'un mystère sacré, et.
DON JUAN. Va, va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine.
SGANARELLE. Ma foi ! Monsieur, j'ai toujours ouï dire que c'est une méchante raillerie que de se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin.
DON JUAN. Holà ! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.
SGANARELLE. Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde. Vous savez ce que vous faites, vous ; et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons ; mais il y a de certainspetits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ; et si j'avais un maître comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face : " Osez-vous bien ainsi vous jouer au Ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C'est bien à vous, petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit), c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent ? Pensez-vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos vérités ? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et que... "
DON JUAN. Paix !

 

Quelques pistes de réflexion :

I. Un affrontement inégal : portrait de Dom Juan en maître

1. L'éloquence héroïque de l'aristocrate

> grandeur épique de son discours

> références aristocratiques

>> un discours qui vise à impressionner Sganarelle

2. Un personnage qui autorise / interdit la parole

> il guide le dialogue avec ses questions et les impératifs

> ses questions sont de moins en moins ouvertes

> le personnage coupe la parole et hausse le ton

3. Un personnage qui n'appartient pas à la comédie

> l'orgueil (hubris) contre le Ciel rappelle le héros de tragédie

> Dom Juan ne fait pas rire, mais inspire crainte et pitié

 

II. La ruse du valet : les ressorts du comique

1. l'art de prendre la parole... et de retourner la situation

> du silence au discours, Sganarelle est de plus en plus bavard

> les marques de l'opposition et de la concession sont de plus en plus fortes

> les énoncés sont d'abord modalisés, indirects, puis l'insolence devient évidente

2. un personnage satirique

> voix de la morale, Sganarelle critique le libertinage religieux et le libertinage de moeurs

> il critique aussi l'apparence de Dom Juan, en le caricaturant

> le valet, par sa ruse, devient critique de son maître et du pouvoir que ce dernier exerce.

3. le sérieux de la farce

> Sganarelle utilise le théâtre pour émettre sa critique (théâtre dans le théâtre)

> on a une condamnation de la vie "théâtrale" de Dom Juan (qui mène une vie "agréable et divertissante", ou qui se "joue" des mystères sacrés)

>> le théâtre permet la critique, il est porteur d'un discours conflictuel.

 

III. Complicité et rivalité des personnages

1. Un duo

> le valet est un double dérisoire de son maître

> l'éloquence de Sganarelle est calquée sur celle de son maître.

2. Un couple de comédie

> les deux personnages fonctionnent sur le modèle du contrepoint, qui permet de donner du relief aux comiques de répétition, caractère, situation...

> d'une tirade à l'autre, la structure de la scène est très équilibrée

> la dispute = un exercice de style ("une autre fois... pour disputer avec vous")

 

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