corpus : l'huître
textes de Belleau, La Fontaine, Ponge
En quoi la description de l’huître renvoie à l’image du texte poétique et à son fonctionnement ?
Huître = un triple apprentissage
1. Apprendre à voir
L’huître de Belleau constitue un véritable spectacle, comme en témoigne le premier verbe, qui théâtralise la scène : « Voyez ». Mais, l’huître artiste est aussi peintre : elle « bigarre l’entrée » et joue des couleurs. Tout de lumière, elle « attire le teint dont la nue se mire » et crée des effets lumineux « blanchissante . Pâlissante / elle prend le vermeil ». Ce regard contemplatif s’oppose au regard naïf du jeune rat de La Fontaine, ébloui par la « moindre taupinée », incapable de saisir la juste mesure de l’univers. Son savoir livresque escamote le réel et le déforme. Percevant l’huître, il « crut voir en les voyant des vaisseaux de haut bord ». L’apprentissage du regard, qui doit aller au-delà des apparences, est figuré par la structure du poème de Ponge. La première strophe décrit la surface, puis il entre à l’intérieur pour découvrir tout un monde, avant d’évoquer, ultime étape, la perle. Ainsi l’huître constitue-t-elle un spectacle qu’il s’agit de savoir regarder.
2. Apprendre à lire
L’huître fermant sa coquille sur l’imprudence et l’ignorance du rat de La Fontaine, évoque alors un certain apprentissage de la lecture. La figure du pédant se dessine d’ailleurs dans la fable, à travers les leçons des maîtres appelés pompeusement « magister ». La mauvaise assimilation du savoir fait alors l’objet d’ironie : l’expression « savants jusques aux dents » désigne les mauvais savants en jouant sur le fait qu’un rongeur ait justement de longues dents. C’est ainsi la gloutonnerie des rats qui rongent les livres sans les assimiler qui va mener le jeune protagoniste à sa perte… Il faut donc adopter une bonne distance de nos lectures, et lire la fable en se laissant prendre à son charme, sans pour autant confondre littérature et réalité. L’huître de Belleau, ainsi, est à lire non comme un objet réel, mais comme une construction poétique. C’est un symbole d’abondance, « comblée / jusques aux bords pleinement », qui répond aux codes de la cornucopia chère aux poètes de la Pléiade. Véritable signe de perfection, de fertilité, « soudain elle devient grosse… d’un perleux enfantement ». Cet apprentissage de la lecture est mis en œuvre dans le texte de Ponge, qui nous invite à lire l’étymologie des mots « à proprement parler », nous laissant comprendre qu’une formule est une petite forme et que la perle est ici transformée en verbe.
3. Apprendre à écrire
L’huître met alors en scène le travail de l’écrivain chez Ponge. Il s’agit de lire l’ouverture de l’huître comme la démarche du poète. L’huître se dit à travers le champ lexical de l’écriture, et devient une allégorie de la création. Le poète, doit « s’y reprendre à plusieurs fois », et la « dentelle noirâtre sur les bords » peut évoquer la graphie sur la feuille blanche. Surtout, la précieuse formule met en abyme la préciosité recherchée du langage poétique. De la même façon, la fable se met en scène. La moralité invite le lecteur à se moquer de l’ignorance du rat et de ses connaissances livresques. Le lecteur, pourvu de l’expérience de la fable, peut se sentir supérieur à ce rat… Or que fait le lecteur, sinon retenir une leçon venue d’une fable, une leçon enseignée par un livre ? Le piège de l’écriture se referme sur le lecteur comme l’huître sur le rat dans une mise en abyme. La fable fonctionne comme une huître, c’est un piège séduisant qu’il faut savoir garder à distance.
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