lecture analytique 3

le retour à T. Beach

Lol retourne à T Beach, avec J Hold, après avoir tenté une fois déjà de s’y rendre seule. Il s’agit de revivre le traumatisme pour s’en libérer… comme une sorte de thérapie, de cure psychanalytique, le personnage vient chercher un part de lui-même qui lui a été ravie. Une manière de se retrouver ou de se perdre davantage dans ce lieu qui a des allures infernales (la marche labyrinthique jusqu’au Casino peut se lire comme une descente aux enfers). Cette quête semble ne pas aboutir pour Lol, mais elle transforme quand même les rapports entre les personnages. L’échec d’une quête personnelle se transforme en épreuve initiatique pour le couple. Comment l’échec du travail de deuil de Lol entrepris à T. Beach se transforme-t-il en renaissance du narrateur ?

 

I. La prison du souvenir

1. circularité de l’espace et du temps :

> un espace fermé « Concentriquement des tables entourent une piste de danse », les images circulaires sont vertigineuses.

> un temps circulaire : « il y a longtemps ? - Oh dix ans, dit lol. - J’étais là. », le retour des mêmes personnages est souligné graphiquement par la circularité de la lettre O. Surtout, les préfixes (re) se multiplie « rouvre, revoir, redevient, reconnaît... »

2. l’enfer de l’éternel retour /effets d’échos :

> retour du traumatisme : fox-trot du bal, blonde qui rit (Tatiana-Karl ?), arrivée du couple d’amants (Michael Richardson et Anne Marie Stretter), cris de mère (de Lol), engloutissement de Lol.

> ce lien entre le présent et le passé est figuré par les allers et retours de l’homme du casino, qui appartient à ces deux temporalités « L’homme marche, va et vient derrière le rideau du couloir ». De même, on a des phrases qui tournent en rond « Une trace subsiste, une » (épanadiplose). La conscience fait les cent pas. « Elle peut revoir indéfiniment ainsi, revoir bêtement ce qui ne peut pas se revoir » : structure circulaire de la phrase qui emprisonne le regard fasciné.

3. l’échec du travail de deuil

> une démarche négative : avancée vers l’engloutissement, l’effacement « Un calme monumental recouvre tout, engloutit tout. Une trace subsiste, une. Seule, ineffaçable, on ne sait où, d’abord. Mais quoi ? Ne le sait-on pas ? Aucune trace, aucune, tout a été enseveli, Lol avec le tout » : évolution de « une trace » à « aucune trace », importance des marques négatives, des ellipses qui disent le vide.
> Mélancolie dans l’impossibilité d’accomplir le deuil : Lol est au bord de l’inconscience. « cette reconnaissance échappe complètement à Lol », qui est ailleurs... « Elle peut revoir indéfiniment ainsi, revoir bêtement ce qui ne peut pas se revoir » : l'attitude régressive est soulignée par l’adverbe « bêtement », qui renvoie à une attitude primitive.

> « La salle redevient, par contraste, beaucoup plus obscure » L’obscurité à laquelle sont renvoyés les personnages témoigne de l’échec de Lol. Les 10 lustres, qui font écho aux 10 ans… semblent brûler plus qu’éclairer : le cri de Lol est une métaphore de la souffrance infernale…

 

II. Une scène rêvée plutôt que vécue

1. univers théâtral

> le décor rappelle l’univers du spectacle, avec « l’homme lâche le rideau », comme si cette scène était mise en scène… « il y a une scène fermée par des rideaux rouges ». On entre dans le théâtre intérieur de la conscience, que l’on appelle l’Autre scène.

> le rideau est une frontière : « l’homme marche, va et vient derrière le rideau », « l’homme attend derrière les rideaux » : frontière entre la conscience et l’inconscience, entre le présent et le passé, entre le social et l’intime, la métaphore théâtrale du rideau rappelle l’imaginaire de la révélation, du franchissement initiatique dans une atmosphère cérémonieuse.

2. ombres et lumières, jeux de regards

> le regard de Lol est fasciné, halluciné. « Lol regardait » : la tournure intransitive rend ce regard mystérieux. De même « Elle regarde par à-coups, voit mal, ferme les yeux pour mieux le faire, les rouvre » : le regard est une quête, il s’agit d’apprendre à voir, pour Lol qui est en quête d’illumination (revoir… ce qui ne peut se revoir).

> « la salle s’éclaire de dix lustres ensemble », « l’homme éteint. La salle redevient, par contraste, beaucoup plus obscure » : On a bien ici l’image de l’illumination, mais qui éblouit au lieu d’éclairer. Le sens passif de la tournure pronominale « la salle s’éclaire » donne un aspect mystérieux au « déclic d’un commutateur » qui semble s’actionner tout seul.

> il y a pourtant coup de théâtre et révélation, mais non pas pour Lol. L’homme du casino « reconnaît » mademoiselle Lola Stein. Son regard est habité, de même que celui le narrateur qui dit « je le vois bien » pour signifier qu’il « comprend » bien. Le rideau peut ainsi être également celui de l’illusion comique, celui par lequel on rend la révélation possible. Il n’y a que pour Lol pour qui voir, ce n’est pas savoir.

3. projections fantasmatiques

> le narrateur apprend ainsi à voir « j’essayais d’accorder de si près mon regard au sien que j’ai commencé à me souvenir, à chaque seconde davantage, de son souvenir » : on est ici dans un transfert, une expérience d’aliénation, soulignée par le parallèle « me souvenir / son souvenir ». Enfin, il y a une ambiguïté sur l’énonciation de « J’étais là » : ce peut être l’homme du casino, qui parle, ou bien le narrateur, confondant le réel et l’imaginaire…

> « la nuit noire de la salle » est un espace propice aux projections, comme une salle de cinéma (les personnages se sont rencontrés après une séance de cinéma). L’expérience fantasmatique est soulignée par les indéfinis « une blonde, un couple d’amants, un crépitement, des cris de mère, et... » qui ouvrent un espace indéterminé, ouvert à l’imaginaire.

> cette reconstruction fonctionne sur le mode du prolongement métonymique « je me suis souvenu d’événements contigus à ceux qui l’avaient vu » : la métonymie rappelle le fonctionnement du rêve, et c’est une figure qui joue sur les frontières, les déplace… On notera que les souvenirs sont souvent métonymiques (une « blonde », un « crépitement », « des cris de mères »)… qui relèvent de l’esthétique de la trace.

 

III. Travail de deuil ou salle de travail, de délivrance ?

1. Une progression ?

> le cheminement des personnages n’est pas circulaire. « Nous sommes sortis par la porte qui donne sur la plage » : on peut voir une sorte de sortie de la caverne platonicienne avec un cheminement vers la lumière et l’agrandissement de l’espace. De plus on est passé du présent « nous entrons » au passé composé « nous sommes sortis », comme si une prise de distance avait été effectuée.

> On peut alors comprendre l’étrange « Pardon » prononcé par l’homme du casino. Le personnage qui reconnaît Lol s’excuse de se souvenir de l’incident, d’avoir identifié celle qui est associée à un drame. Cependant « cette reconnaissance échappe totalement à Lol » peut se lire comme le fait que Lol est à présent au-dessus de l’événement, elle a comme tourné la page. Autrement dit, elle ne s’identifie plus à cet événement.

2. une scène de re(co)nnaissance (renaissance à deux)

> autre métaphore possible : celle de l’accouchement. On se souvient du « cri de mère », du passage de l’obscurité à la lumière. « Lol pousse un cri » puis « Lol sort ». On peut lire alors une sorte de nouvelle naissance, une re-naissance, qui est sous le signe de la re-co-naissance (le terme est utilisé avec insistance dans un polyptote).

> il s’agit bien d’une sorte de naissance du couple : le pronom « nous » structure le passage. L’expérience se joue à deux « Je me rapproche de Lol. Elle ne me voit pas venir » : le jeu des pronoms lie les personnages. Le passage devient une reprise du mythe d’Orphée à l’envers. Le narrateur se fait Orphée allant chercher son Eurydice. Cette dernière, au lieu de s’éloigner, lui est rendue.

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