séance initiale : la Nekuia homérique

Ulysse aux enfers

Séance 1 : Analyse de la Nekuia dans l’Odyssée d’Homère

 

Lecture et présentation de l’extrait :

Nekuia ou catabase = descente aux enfers. Passage de nombreux héros : Orphée, à la recherche d’Eurydice, Hercule, qui doit affronter Cerbère, Persée, qui va tuer Méduse, y sont allés également… Il y a toute une géographie des enfers, avec ses fleuves, ses paysages (Tartare, Champs Elysées…) qui constituent ainsi un monde entier, un ailleurs, l’au-delà. On passe, dans l'Odyssée, du voyage sous le signe de l’errance, dans une horizontalité toute humaine, à un voyage dans une autre dimension, verticale… comme si le personnage ne découvrait plus le monde, mais son monde intérieur. Le héros confronté à cet ailleurs vit ainsi une épreuve qui lui apporte un savoir sur lui-même et sur le monde, et la traversée des enfers s’apparente ainsi à une quête initiatique.

 

 

I. Un lieu terrifiant, qui nous présente un imaginaire de la dégradation

> c’est un lieu où l’on s’enfonce, où l’on est attiré vers le bas : le verbe « descendre » est utilisé à deux reprises par Achille, mais surtout, les supplices sont marquées par une impossible élévation. Orion chassait sur des montagnes, il doit se réfugier dans une prairie, Tityos est « étendu sur le sol », et l’objet du désir de Tantale se dérobe systématiquement dans des hauteurs inaccessibles, quand lui-même est enlisé dans un lac… ainsi, descendre aux enfers, c’est découvrir un lieu de dégradation où l’on s’enfonce, où l’on s’embourbe.

> L’humain régresse. Le texte nous fait ainsi passer de la grandeur des guerriers au sort des personnages suppliciés : la notion d’héroïsme disparaît à mesure que l’on s’enfonce dans les profondeurs infernales. En effet, on passe du désir sublime de gloire aux désirs et appétits condamnables (désir sexuel et appétit primitif). Le lieu est même sauvage : des fauves chassés aux vautours qui viennent manger le foie, on est plus dans le monde des bêtes que des hommes, qui ne sont d’ailleurs plus que des ombres.

> des corps éprouvés : les sensations sont sous le signe de la souffrance, de la privation. Les « mille douleurs » souffertes par Ulysse sont ici toutes relatives. La vue est d’abord perturbée, les « ténébreuses demeures habitées par les ombres » et les « sombres demeures ». Les corps sont surtout dans une souffrance éternelle : Tantale est le jouet d’un « dieu cruel »

 

II. Un lieu spectaculaire, exemplaire, qui prend une dimension épique

> Des lieux et personnages légendaires : les épithètes homériques et les lignées des héros rappellent le prestige des morts rencontrés. Mais à ces disparus, s’ajoutent les exemples mythologiques, qui font se rencontrer le temps de la narration et le temps du mythe. On est dans un univers où les hommes et les dieux se rencontrent, et la mention de Minos, d’Hadès, de Zeus en témoignent. Les toponymes également dans ce sens : l’Achaïe d’Ulysse est sur le même plan que Pytho, c’est un univers de références communes, un univers de légende.

> un lieu spectaculaire : on voit la scène à travers les yeux d’Ulysse, qui précise qu’il « aperçoit » d’abord la scène, puis il « voit » Orion, et Tityos « se présente à sa vue ». On note la gradation vers une vue de plus en plus saisissante. On notera aussi la grandeur, « les vastes demeures d’Hadès », le corps de Tityos « recouvre neuf arpents », et des effets spectaculaires comme « le vent les enlevait jusqu’aux nues ténébreuses ». Il s’agit d’impressionner, de fasciner le lecteur.

> la dimension épique : la grandeur superlative est une caractéristique du style épique. « Nul homme n’a jamais été ni ne sera jamais plus heureux que toi », déclare Ulysse à Achille. Autre caractéristique : le héros est collectif, toute la communauté peut s’identifier à lui. Ainsi, les supplices qu’il découvre ont-ils une valeur d’exemplarité, une valeur morale.

 

III. Un lieu initiatique, qui propose une révélation

 

> un cheminement vers soi, vers sa destinée : Ulysse cherche Tirésias pour se connaître soi-même. Il descend aux enfers pour effectuer un retour sur soi, « aux terres paternelles », c’est-à-dire aux origines. On peut ainsi interpréter ce voyage comme une descente intérieure, une figure de l’inconscient (avec la sauvagerie du ça, les figures d’autorité du surmoi). « retourner à Ithaque », symboliquement, c’est ainsi se retrouver, et le voyage aux enfers est une initiation nécessaire à la quête d’identité. Il y a d’ailleurs une équivalence entre le « dessein » qu’Ulysse «  médite en son âme » et la descente aux enfers. La nekuia = métaphore de cette méditation qui nous fait passer par le chaos pour retrouver le cosmos.

> un savoir sur la vie héroïque : Ulysse apprend d’Achille la vanité de la gloire héroïque. Au discours superlatif d’Ulysse, Achille répond par des négations totales et restrictives « ne cherche point », « un pauvre homme qui ne posséderait qu’un faible bien » : on note tous les adjectifs « un pauvre homme / un faible bien » qui s’opposent à la grandeur héroïque. L’au-delà donne à la vie toute sa valeur. Le discours d’Achille est un chant à la vie : les morts ont perdu leur identité, ce ne sont plus que des ombres.

> un savoir sur la justice des dieux : Ulysse apprend de Minos ce qu’il en coûte de se mesurer aux dieux. Aux enfers, il s’agit donc d’apprendre à rester un homme, à refuser la tentation de s’égaler aux dieux, comme les héros ou les personnages condamnés par leur hubris.

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