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la scène d'exposition

lecture analytique 1

problématique : comment on passe de la transgression des codes de l’exposition... à l’exposition de personnages qui incarnent la transgression.

 

I. La scène d’exposition transgresse les règles, les codes attendus

 

1. Mise en scène de l’obscène : aux antipodes de la bienséance…

> L’obscène se définit comme l’exposition de ce qui ne devrait pas être montré. Les didascalies qui insistent sur la lanterne et les manteaux décrivent des outils de dissimulation. Les personnages se cachent, ce sont des personnages de l’ombre. Dès la première réplique « il fait un froid de tous les diables », le côté diabolique de ces ombres est souligné.

> La tirade de Lorenzo surtout s’anime pour louer ce qui doit être blâmé : la corruption. On est dans une sorte de monde à l’envers, qui nous invite à explorer l’univers des bas-fonds, de la profondeur infernale : « point de fond dans les principes, rien qu’un léger vernis » : l’univers de la profondeur est souligné par les marques de négations : on a l’éloge du négatif : « quel flot violent d’une fleuve magnifique sous cette couche de glace fragile qui craque à chaque pas » on peut voir une allusion à un fleuve infernal...

 

2. un dialogue qui dysfonctionne : aux antipodes de la vraisemblance

> L’exposition est une ouverture sur la pièce, mais cette ouverture est sous le signe d’une sortie… « qu’elle se fasse attendre… et je m’en vais ». Au lieu d’exposer des personnages on menace de les faire disparaître.

> Surtout, après avoir montré ce qui devrait être caché, on nous fait entendre ce qui devrait rester dans le non-dit. Le duc est sans cesse dans le juron : « Entrailles du pape » relève du blasphème, « Sacrebleu » le renvoie au trivial.

> Enfin, on peut souligner le décalage de la tirade de Lorenzo : c’est une digression dans un moment d’attente glaciale, et on peut voir que le duc semble ne pas l’avoir écouté, puisqu’il y a une sorte de décrochage dans les tours de parole.

 

3. une scène d’exposition qui préfigure l’action plutôt qu’elle ne la lance : fin des unités…

> Une scène nocturne, qui rappellera la scène du meurtre. Les deux nuits cumulent des effets de symétrie avec le froid ressenti, l’heure « minuit » mélodramatique, et la reprise de motifs comme les manteaux ou l’épée… On est dans une poétique de l’écho, du jeu de miroir. La scène d’exposition ne lance pas l’action : elle la pré-figure.

 

II. Des personnages transgressifs

 

1. l’espace et le temps du désir

> La scène propose d’emblée une opposition entre les deux personnages : le duc vit sur le mode de l’urgence, c’est la temporalité du désir. Au contraire, Lorenzo exacerbe le temps de l’attente, il est sur le mode du ralenti, avec la tirade, notamment, qui diffère l’action… comme avant la scène du meurtre. Le temps comme l’espace figurent le désir : « le jardin » peut renvoyer au jardin d’avant le péché, ou au lieu de la séduction courtoise.

 

2. une écriture parodique

> les didascalies renvoient à un topos amoureux : le « clair de lune » est un cliché romantique. Ici, on est cependant dans une réécriture parodique. Il s’agit bien de dégrader les modèles, de dégrader ce qui fait autorité. Réécriture du jardin d’éden, on est dans le temps de la souillure et du péché. Le texte se termine par une référence au mariage, valeur qui semble ici complètement tournée en dérision.

> la métaphore florale qui termine la tirade de Lorenzo peut se lire comme la reprise parodique des fleurs de la galanterie : « jamais je n’ai humé dans une atmosphère enfantine plus exquise odeur de courtisanerie » : les fleurs annoncent plutôt la défloraison, et les fruits rappellent le fruit défendu « jamais arbuste en fleur n’a promis de fruits plus rares ». L’écriture pervertit les références.

 

3. esthétique de la corruption

> une tirade érotique, visant à séduire le duc. Le duc devrait s’exalter, mais c’est Lorenzo qui s’anime : il y a un jeu de miroir entre les personnages, où Lorenzo joue le jeu du duc. Le portrait vise à exciter son désir « deux grands yeux languissants… tout ce qui peut faire passer une nuit délicieuse à votre altesse ». La dimension érotique passe par les adjectifs qui développent l’objet du désir.

>le passage au pronom démonstratif neutre « cela » signale une réduction de la personne au rang d’objet, dans une réécriture du libertinage. De la même façon, la séduction se réduisait à un échange commercial : « un millier de ducats »

> Enfin, la parole de Lorenzo adopte une affection parentale, et le vice du duc prend une dimension incestueuse : « infiltrer paternellement le filon du vice », on insiste sur la jeunesse de la « débauche à la mamelle »…

 

III. Une mise en scène de l’ambiguïté

 

1. Le temps symbolique :

> la répétition de « minuit » signale un temps déchiré entre l’opacité des ténèbres et la clarté de l’aube. Figure de Lorenzo ?

> De même , l’expression « nous n’avons avancé que de moitié » peut être à double sens (avancer de l’argent / avancer dans le temps)… Figure du double sens se multiplie.

 

2. L’ambiguïté du discours

> le discours de la débauche réduit la femme à l’animalité, et le désir à l’instinct : « une jeune chatte qui veut bien des confitures, mais qui ne veut pas se salir la patte ». En même temps, ce discours réducteur est énoncé dans une tirade, une expression qui étire la phrase : il y a ainsi une sorte d’opposition entre l’énoncé qui minimise (on insiste sur la petite, jeune chatte, arbuste) et l’inflation de l’énonciation (ampleur des phrases, des tirets, des rythmes ternaires...)

> L’abondance des métaphores fait ainsi du discours un outil de séduction, mais c’est aussi en même temps une figure de la dualité : le réel se masque derrière une image, comme Lorenzo se masque derrière Lorenzaccio.

 

3. Polyphonie et écriture ironique

> La tirade évoque le passage de la vertu au vice : Lorenzo parle-t-il de lui-même ? Dans cette tirade, c’est lui qu’il met en scène : « voir dans un enfant de quinze ans la rouée à venir » il y a une ambiguïté dans le genre masculin / féminin.

> On peut noter l’ambiguïté des infinitifs de la tirade ; mode non temporel non personnel, le mode renvoie l’action décrite à une virtualité qui n’inclut pas l’énonciateur. L’infinitif est à la charnière entre le discours libertin, et le discours qui refuse ce masque.

> Le discours prend alors plusieurs significations : des remarques telles que « le vrai mérite est de frapper juste » peut s’entendre comme de l’ironie tragique (une annonce du destin fatal que le personnage aveuglé ne peut identifier… le « sacrebleu, je ne vois pas le signal » peut alors s’entendre comme une illustration de cet aveuglement)

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