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corpus : la descente aux enfers

Textes étudiés :

Virgile, Enéide, Chant VI, v 267 à 293 : la descente aux enfers

Ils allaient, ombres obscures dans la solitude de la nuit, à travers les demeures vides de Dis et son royaume inconsistant : ainsi va-t-on dans les bois, à la lueur ingrate d'une lune incertaine, quand Jupiter a enfoui les cieux dans l'ombre, et quand la nuit noire a enlevé aux choses leur couleur.

Devant le vestibule même, tout à l'entrée d'Orcus, les Pleurs et les Soucis vengeurs ont posé leurs couches ; les pâles Maladies et la triste Vieillesse y habitent, la Crainte, et la Faim, mauvaise conseillère, et la honteuse Indigence, figures effrayantes à voir, et le Trépas et la Peine ; puis la Torpeur, sœur du Trépas, et les Joies malsaines de l'esprit, ainsi que, sur le seuil en face, la Guerre porteuse de mort, et les chambres bardées de fer des Euménides, et la Discorde insensée, avec sa chevelure vipérine entrelacée de bandelettes ensanglantées.

Au centre d'une cour, étendant ses rameaux et ses bras chargés d'ans, se dresse un orme touffu, immense : selon la légende, les Songes vains y ont leur siège et restent collés sous chacune des feuilles.

En outre apparaissent aussi une foule variée de bêtes monstrueuses : Centaures ayant leur étable à l'entrée, Scylla à double forme, et Briarée aux cent bras et la bête de Lerne, à l'horrible sifflement, et Chimère tout armée de flammes, Gorgones et Harpyes, et la forme d'une ombre à trois corps.

Ici, tout tremblant d'une crainte soudaine, Énée saisit son épée, la dégaine et la pointe vers ceux qui arrivent et, si sa docte compagne ne l'avertissait que ce ne sont là que vies ténues voltigeant sans corps sous l'image d'une forme vide, il se ruerait et de son arme pourfendrait en vain les ombres.

 

Virgile, Enéide, Chant VI, v 384-425 : La rencontre avec le nocher

Dès lors, poursuivant sur la voie engagée, ils s'approchent du fleuve. Dès que le nocher, depuis les flots du Styx, les voit de loin traverser le bois silencieux et diriger leurs pas vers la rive, le premier il les interpelle et d'emblée  les accable d'invectives :

« Qui que tu sois, homme armé qui te diriges vers notre fleuve, allons, de là où tu es, dis-moi pourquoi tu viens, sans faire un pas. Ici, c'est le royaume des ombres, du sommeil et de la nuit qui endort : il est interdit de transporter dans la barque stygienne des corps vivants. Et du reste, je n'ai pas eu à me réjouir, d'avoir accueilli à leur arrivée ici sur le marais l'Alcide, et Thésée et Pirithoüs, bien qu'ils fussent nés de dieux et dotés de forces invincibles. Le premier de sa main a enchaîné le gardien du Tartare, arraché au trône même du roi et l'a traîné tout tremblant derrière lui ; les autres ont tenté d'enlever notre souveraine à la couche de Dis. »

À cela, la prophétesse du dieu de l'Amphrysos répondit brièvement : « Il n'y a ici aucune traîtrise de ce genre ; cesse de t'inquiéter ; et nos traits n'apportent pas de violence ; que le gigantesque geôlier aboyant sans fin dans son antre terrorise à son gré les ombres exsangues, que la chaste Proserpine surveille librement le seuil de son oncle paternel. Le Troyen Énée, illustre pour sa piété et ses faits d'armes, descend auprès de son père, chez les ombres profondes de l'Érèbe. Si le spectacle d'une si grande piété ne t'émeut en aucune façon, reconnais du moins ce rameau ». Et elle découvre le rameau caché sous son vêtement. Alors le cœur de Charon gonflé de colère s'apaise. Elle ne dit rien de plus. Lui, admirant le présent vénérable, la baguette miraculeuse qu'il revoit après si longtemps, tourne sa barque sombre et s'approche de la rive. Ensuite, les autres âmes, assises sur les longs bancs, il les déloge et vide le pont, tandis qu'il accueille dans sa coque le grand Énée. Sous le poids, la barque toute rapiécée gémit et par ses fissures prend en abondance l'eau du marais. Finalement il traverse le fleuve et dépose la prophétesse et le héros sains et saufs, dans une fange informe, parmi les algues glauques.

L'énorme Cerbère aboyant de ses trois gueules, monstre couché dans son antre, fait résonner au loin ce royaume. La prêtresse, voyant ses cous se hérisser déjà de couleuvres, lui jette une boulette soporifique de miel et de graines traitées. Lui, enragé par la faim, ouvre largement ses trois gueules, saisit ce qu'on lui a jeté et relâche son immense échine, s'étend sur le sol et couvre de tout son long l'antre tout entier. Le gardien étant endormi, Énée en hâte franchit l'entrée, et s'éloigne rapidement de la rive du fleuve sans retour.

Dante, La Divine Comédie, chant 26

 

[…] Nous partîmes, et, par les pierres saillantes qui nous avaient d’abord servi d’escaliers pour descendre, mon Guide remonta, me tirant après lui. Et, suivant la route solitaire à travers les escarpements et les rochers du précipice, le pied sans la main ne se dépêtrait pas. Alors je m’attristai, et maintenant encore je m’attriste, quand je reporte mon souvenir sur ce que je vis, et plus que d’ordinaire je retiens mon esprit, afin qu’il ne coure point sans que la vertu le guide, et que si une bonne étoile, ou une autre chose meilleure, a mis en moi le bien, je ne me l’envie pas à moi-même.

Alors que celui qui éclaire le monde tient le moins de temps sa face cachée, lorsque la mouche cède l’air au cousin, autant le villageois qui se repose sur le tertre, voit de lucioles dans la vallée, là peut-être où il vendange et laboure, autant de flammes resplendissaient dans toute la huitième bolge, comme je l’aperçus quand je fus là d’où l’on découvrait le fond. Et tel qu’à celui qui se vengea par les ours apparut, au départ, le char d’Élie, quand se dressant vers le ciel les chevaux s’élevèrent, et que, le suivant de l’œil, il ne pouvait discerner que la flamme seule qui, comme une petite nue, montait, telle chacune de celles-là se mouvait à la bouche de la fosse : nulle ne montre le larcin ; et chaque flamme enveloppe un pécheur.

Debout, sur le pont, je m’étais si avancé pour voir, que si à une saillie je ne me fusse retenu, je serais tombé sans qu’on me heurtât.

Et le Guide, qui me vit si attentif, dit : « Au dedans des feux sont les esprits ; chacun se revêt de ce qui le brûle. » — Maître, lui répondis-je, l’ouïr de toi m’en rend plus certain ; mais déjà je m’étais aperçu qu’il en était ainsi, et je voulais te demander qui est dans ce feu, si divisé à son sommet qu’on dirait qu’il s’élève du bûcher sur lequel Étéocle fut mis avec son frère ? Il me répondit : « Là dedans sont tourmentés Ulysse et Diomède ; ils sont ensemble emportés par la vengeance, comme ils le furent par la colère. Au dedans de leur flamme se pleure l’embûche du cheval qui fut la porte d’où sortit des Romains la noble semence ; et s’y pleure aussi l’artifice par lequel Déidamie morte déplore encore le destin d’Achille, et du Palladium s’y porte la peine. » — Si, au milieu de ces étincelles, ils peuvent parler, dis-je, je t’en prie, et t’en prie encore Maître, et que ma prière en vaille mille ! ne me refuse point d’arrêter jusqu’à ce qu’ici vienne la flamme double ; vois, de désir je me ploie vers elle. Et lui à moi : « De beaucoup de louange ta prière est digne, et ainsi je l’accepte. Mais fais qu’en repos ta langue se tienne ! Laisse-moi parler : j’ai compris ce que tu veux, et peut-être, ayant été Grecs, auraient-ils à dédain ton langage. ».

Lorsque la flamme fut venue près de nous, et qu’à mon Guide il parut que c’était le moment et le lieu, je l’entendis parier de la sorte : « O vous qui êtes deux dans un seul feu, si je méritais de vous pendant que je vivais, si beaucoup ou peu je méritai de vous lorsque dans le monde j’écrivis mes hauts vers, arrêtez-vous ! et que l’un de vous dise où, par lui-même perdu, il alla mourir. »

La plus grande corne de l’antique flamme, pareille à celle que fatigue le vent, commença à s’agiter ; puis ça et là mouvant sa cime, comme si ce fut la langue qui parlât, au dehors émit une voix, et dit : « Quand je quittai Circé, qui me retint caché plus d’un an, là, près de Gaëte, avant qu’ainsi Énée la nommât, ni la douce pensée de mon fils, ni la piété envers mon vieux père, ni l’amour qui devait être la joie de Pénélope, ne purent vaincre en moi l’ardeur d’acquérir la connaissance du monde, et des vices des hommes, et de leurs vertus. Mais, sur la haute mer de toutes parts ouverte, je me lançai avec, un seul vaisseau, et ce petit nombre de compagnons qui jamais ne m’abandonnèrent. L’un et l’autre rivage je vis, jusqu’à l’Espagne et jusqu’au Maroc, et l’île de Sardaigne, et les autres que baigne cette mer. Moi et mes compagnons nous étions vieux et appesantis, quand nous arrivâmes à ce détroit resserré où Hercule posa ses bornes, pour avertir l’homme de ne pas aller plus avant : je laissai Séville à ma droite ; de l’autre déjà Septa m’avait laissé. Alors je dis : « O frères, qui, à travers mille périls, êtes parvenus à l’Occident, suivez le soleil, et à vos sens à qui reste si peu de veille, ne refusez l’expérience du monde sans habitants. Pensez à ce que vous êtes : point n’avez été faits pour vivre comme des brutes, mais pour rechercher la vertu et la connaissance. Par ces brèves paroles j’excitai tellement mes compagnons à continuer leur route, qu’à peine ensuite aurais-je pu les retenir. La poupe tournée vers le levant, des rames nous, fîmes des ailes pour follement voler, gagnant toujours à gauche. Déjà, la nuit, je voyais toutes les étoiles de l’autre pôle, et le nôtre si bas que point il ne s’élevait au-dessus de l’onde marine. Cinq fois la lune avait rallumé son flambeau, et autant de fois elle l’avait éteint, depuis que nous étions entré dans la haute mer, quand nous apparut une montagne, obscure à cause de la distance, et qui me sembla plus élevée qu’aucune autre que j’eusse vue. Nous nous réjouîmes, et bientôt notre joie se changea en pleurs, de la nouvelle terre un tourbillon étant venu, qui par devant frappa le vaisseau. Trois fois il le fit tournoyer avec toutes les eaux ; à la quatrième, il dressa la poupe en haut, et en bas il enfonça la proue, comme il plut à un autre, jusqu’à ce que la mer se refermât sur nous. »

 

Quelques idées évoquées et développées en classe  :

 

Quelles sont les images de l’enfer qui nous sont proposées ici ?

 

1. Une image effrayante

> présence de monstres et de visions spectaculaires

> registre fantastique (chp lex de la peur / manifestations physiques de l'horreur)

> images encerclantes / enfermantes

>> un tableau épique visant à impressionner le héros

 

2. Une image mythique

> retour de personnages connus

> réécriture de mythes, intertextualité

> un point de vue / des paysages spectaculaires, hyperboliques

>> un tableau littéraire, poétique.

 

3. Une image didactique

> le dialogue explicatif fait entendre les leçons d’outre-tombe

> la présence d’un guide explicite le sens du lieu

> les images de passages, de seuils, soulignent le franchissement d'une initiation

>> une portée morale, soulignée par l’intention allégorique

 

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