à une passante

lecture analytique

On est ici dans un renouvellement de la figure de la Muse. Objet d’admiration, la femme devient source d’inspiration. Ce sonnet naît d’une rencontre aussi inattendue que violente avec une femme mystérieuse et inaccessible, qui ne peut que nourrir le spleen du poète. Comment la mélancolie moderne du poète renouvelle le motif de la rencontre amoureuse ?

 

I. Une rencontre foudroyante

 

1. L’univers urbain

> « la rue » et le titre renvoient à la modernité du décor. Cet univers est hostile : l’adjectif « assourdissante » renvoie à un chaos sonore, et l’allitération en r et en s du premier vers traduit cette agressivité. L’agressivité est renforcée par la connotation animale du verbe « hurler ». Le Paris moderne nous fait régresser à un état instinctif.

> cet univers menaçant semble entourer le poète, l’encercler, le piéger. Le groupe prépositionnel « autour de moi », figure ce sentiment d’un personnage traqué.

>> Ces éléments renvoient au spleen baudelairien, cette ville est assimilée à « la nuit » du poète, un chaos menaçant. Le poète est figé, pétrifié, « crispé », alors que la femme sera, au contraire, sous le signe d’une mobilité, d’une fluidité.

 

2. le coup de foudre

> la violence de la rencontre est traduite par le vers 9 : l’opposition de la lumière / obscurité est soulignée par l’exclamation. La syntaxe se disloque. Les points de suspension suggèrent l’éblouissement du poète. Le tiret isole une partie du vers, et insiste sur le sentiment de vide, de néant, qui suit l’éblouissement. Le poème est hanté par le vide jusque dans la graphie.

> l’image de l’éclair appelle le lieu commun du coup de foudre, mais Baudelaire va remotiver ce topos. En effet, le coup de foudre est l’expression d’une violence contenue depuis « hurlait, crispé, ouragan, tue »

>> Cette violence reflète l’état paroxystique du poète en proie à des sentiments extrêmes

 

II. Une vision de l’Idéal

 

1. Une beauté sublime

> la silhouette est décrite de manière élogieuse « longue, mince, majestueuse, fastueuse... ». La grâce est soulignée par le rythme du vers 2, de plus en plus long pour souligner la majesté du personnage. Importance du mouvement : « soulevant, balaçant » : on est proche de la danse, avec une musicalité appuyée par les allitérations en s et les assonances en en/on.

> c’est une beauté artistique « noble, jambe de statue ». Le feston désigne à la fois une broderie et un ornement de sculpture (Motif antique, repris à la Renaissance.)

>> à la fois élégante et en grand deuil, elle semble avoir dépassé sa douleur, elle l’a sublimée, ce qui lui donne une allure « majestueuse »

 

2. Une femme duelle

> elle porte un part de mystère : l’indéfini « une femme », « une passante », souligne son anonymat. Sa description n’est d’ailleurs que physique : elle reste à distance, et les verbes « j’ignore / tu ne sais » développe cet aspect mystérieux. On a ainsi un mouvement d’attirance et d’éloignement… caractéristique de la fascination.

> La description suit un mouvement de concentration (son œil) et de dispersion (ciel livide) : elle réunit des oppositions, (livide/ouragan, plaisir/tue) comme le temps appréhendé sous une forme « fugitive », puis d’ « éternité ».

>> Bien plus, la Muse est inspiratrice, et fait « renaitre » le poète qui était habité par une pulsion de mort, « crispé comme un extravagant », il est menacé de folie sorte de fureur poétique qui menace spirituellement le poète.

 

3. Une beauté fatale

> elle est associée à la mort, puisqu’elle est en « grand deuil »

> le ciel livide de son œil donne une dimension maladive, avec une pâleur inquiétante

> le mot passante, est dérivé du verbe passer, qui signifie mourir

>> Cette femme semble alors destructrice, derrière son apparence élégante.

 

III. Une rencontre manquée, qui réactive le sentiment de l’échec

 

1. une communication impossible

> le poème change de destinataire avec l’irruption de la 2ème personne : la parole du poète s’adresse à une absence ! C’est une parole pour personne, une incantation dans le vent

> La parole poétique devient hantée par le silence, et se disloque au vers 12 en compléments circonstanciels dépourvus de principale.

>> le chiasme est emblématique « j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais » : les pronoms se croisent mais ne peuvent se rencontrer en un « nous ». Ils suivent des trajectoires parallèles.

 

2. un spleen revivifié

> l’utilisation du passé simple rend compte d’une action coupée de la situation d’énonciation. Ce personnage est fuyant, « fugitive beauté », « tu fuis », et incarne le tragique du temps qui passe. Les enjambements (fugitive beauté / dont le regard…) traduisent cette rapidité

> la forme interrogative et le futur laissent le poète dans un suspens, une torture sans fin, et le mode de l’irréel « toi que j’eusse aimé » laisse la place au regret.

>> Le poète est alors sous le signe d’une antithèse écartelé entre le futur et le passé.

 

3. Une conscience déchirée

> les parallélismes signifient cette douleur redoublée « la douleur qui fascine / et le désir qui tue », « ô toi que j’eusse aimée / ô toi qui le savais ».

> on peut même voir des effets de miroir qui démultiplient ces effets de parallélismes :

la proximité entre « ciel » et « œil » donne une idée graphique de cette impression de déchirement

 

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