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les monstres de Zola

travail sur corpus

objectifs : confronter des textes (corpus) et approfondir l’image du monstre. On avait jusqu’à présent des monstres malgré eux, construits par le regard fasciné de la foule. On a désormais des monstres fascinants qui vont menacer les foules, la société. Les spectateurs construisaient le monstre, le monstre menace la société de destruction.

Comment les monstres prennent-ils corps pour dénoncer une société inhumaine ?

I. Des monstres qui prennent corps

L’imaginaire de Zola confère à ces descriptions une dimension fantastique. Ces machines sont en effet présentées comme vivantes à travers la présence des parties du corps humain : « bedon » (T1), « gosier », « gueule », « boyaux » (T2), « ventre » (T3), mais aussi par une sorte de conscience, de volonté à l’œuvre qui les personnifie. L’alambic est ainsi comparé à « un travailleur morne, puissant et muet » ; la « cage » semble agir de sa propre initiative, elle est sujet des verbes d’action ; et les Halles s’éveillent, Florent les voit « sortir de l’ombre, sortir du rêve » comme de gigantesques entités vivantes. L’effet produit par ces personnifications associe ces passages au registre fantastique : la machine apparaît comme un être surnaturel, dont l’infatigable activité se retrouve dans les trois textes. La production ininterrompue de l’alambic laisse « couler sa sueur d’alcool » (T1), le mouvement régulier de la cage est caractérisée par l’éternel retour des montées et des descentes : «montait », «plongeait », « tombait », « avait reparu », « replongea », « jaillit de nouveau », « descendaient », « montait »... (T2). Enfin, la fréquentation continue des Halles, permet de croiser toutes les classes sociales qui composent le peuple parisien (T3). Nous sommes ainsi devant des représentations mythiques, monstrueuses, de la modernité.

Ces trois passages prennent surtout une dimension symbolique grâce à la métaphore commune de l’engloutissement ; la description de l’alambic intègre tout le circuit de la digestion : « ses enroulements sans fin de tuyaux », « le bout du serpentin l’emplir... », allant même jusqu’à évoquer le processus inverse : l’ «empoisonnement » du consommateur. On est proche d’une représentation de l’hydre, monstre serpentin dont l’étymologie rappelle l’élément liquide. L’évocation du puits qui « avalait des hommes par bouchées » avec ses « boyaux géants capables de digérer un peuple » (T2) est à rapprocher du « ventre » « destiné à la digestion de tout un peuple » (T3) ... Le mythe qui est ainsi mis en évidence est celui de l’Ogre : il cristallise les peurs des hommes et attire l’attention sur la dimension inhumaine du travail et de la vie quotidienne au XIX° siècle. Ainsi, la caractéristique de l’écriture de Zola est bien présente dans ces trois passages : elle allie paradoxalement les critères naturalistes et les indices du fantastique dans une évocation plus critique qu’elle n’en a l’air

II Une société destructrice, monstrueuse

Angoisse et pulsion de mort. L’être humain se retrouve impuissant devant cette manifestation de puissance et d’obstination aveugle. Les moments choisis, l’aube (T2 et T3) et le crépuscule (T1) accentuent cette impression d’étrangeté, accentuent la dimension ténébreuse de ces destins tragiques : entre jour et nuit, règne une pénombre qui déforme les êtres et les choses (« forme étrange » T1, « gris verdâtre » T3) et fait naître le malaise grâce au silence environnant : « à peine entendait-on... », « muet » (T1), « sans un bruit», « indistinct », « silencieuse » (T2). La pulsion de mort est en expansion. Dans le texte 3, le silence des rues parisiennes où s’éteignent « les becs de gaz » est également générateur d’une certaine angoisse, en contraste avec «l’étourdissement», « le branle furieux des roues » qui caractériseront la journée. On peut évoquer aussi le grandissement de l’espace : un mouvement d’expansion donne la mesure de cette force inexorable. L’alcool se répand dans Paris, l’opposition entre la petite cage et les boyaux géants capables de digérer un peuple est saisissante, et la dernière phrase décrivant la grandeur des halles devient elle-même démesurée…En même temps, l’amplification des victimes est proportionnelle. On a ici l’image d’un destin tragique qui se dessine.

Ces trois extraits révèlent la fascination de Zola pour ces représentations du Progrès. Si celui-ci l’inquiète, il ne peut se défendre d’une certaine admiration, rendue par des images frappantes : l’alcoolisme est représenté par la métaphore de l’inondation (T1) : « un filet », puis « une source » qui va « envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de Paris ». Le gigantisme est également évoqué dans tous les extraits : « le grand alambic » et son «énorme cornue» (T1) et les Halles « géantes » au « gigantesque ventre », « hors de toute mesure » (T3) témoignent d’une certaine admiration pour la machine ; dans le second extrait, ce sont les chiffres qui le mettent en évidence : le puits avale les ouvriers par « bouchées de vingt et de trente », « cinq par cinq, jusqu’à cinquante d’un coup ». L’insistance sur la démesure qui caractérise les manifestations du Progrès est donc ambivalente, entre admiration et révolte : elle relève du registre épique.

III. Un discours engagé

La première critique tient à la réification systématique de l’être humain, en réponse à la personnification des machines : « Mes-Bottes » rêve de faire partie intégrante de l’alambic : « il aurait voulu qu’on lui soudât le bout du serpentin entre ses dents, pour sentir le vitriol encore chaud l’emplir, lui descendre jusqu’aux talons», renonçant ainsi à toute conscience, heureux de s’abrutir dans une passivité d’objet. Les ouvriers de Germinal sont évoqués comme un « chargement de chair humaine » : l’expression « sonner à la viande » est particulièrement choquante, puisqu’elle réduit les hommes à leur corporalité la plus primaire. Quant au peuple parisien, il n’est, lui aussi, que de la matière destinée à alimenter la « chaudière » du commerce et de l’argent-roi. L’homme, subordonné à la machine, est comme médusé par le progrès technique.

Mais le discours délivré par Zola n’est pas ambigu ; il s’agit bel et bien d’une triple condamnation et d’un discours engagé : celle de l’alcoolisme d’abord, qui fait des ravages au XIX° siècle dans le monde ouvrier. La réflexion de Gervaise : « ça me fait froid, cette machine... » sonne comme une prémonition de sa propre mort et de celle de tous ceux qui fréquentent assidûment les « Assommoirs » pour oublier combien leur vie est dure. Condamnation ensuite de cet esclavage moderne que constitue l’exploitation des « ouvriers » par des patrons sans scrupules : « Germinal », dans le calendrier révolutionnaire, c’est Mars/Avril, le mois du printemps, qui préfigure l’espoir que mettent alors les « camarades » ouvriers dans les syndicats et l’Internationale créés pour défendre leurs droits et leur redonner leur humanité. Condamnation enfin, plus subtile, de la société de consommation, préfigurée par ces Halles dont la monstruosité met en évidence l’abîme qui existe entre les riches et les pauvres, ceux qui meurent de faim et ceux qui meurent de voracité... L’expression « la digestion d’un peuple » peut être entendue comme une métaphore du peuple ouvrier, « digéré » par une bourgeoisie insatiable dans sa faim d’argent et de pouvoir. La visée critique de ces extraits, si elle reste le plus souvent implicite, n’en est pas pour autant contestable : au-delà du travail de l’écrivain, et servi par son art, se profile l’engagement de l’homme.


 

Conclusion :

des monstres particulièrement dangereux : meurtriers et fascinants, ils demandent à être combattus par un nouveau type de tueur de monstres (un nouveau héros) : l’artiste engagé.

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