lecture analytique 3

Sarraute, Tropismes

La modernité transforme notre société, qui devient une société de consommation. Avec Zola, dans Au bonheur des dames, la société de consommation devient un thème littéraire. Le domaine de l’avoir supplante alors celui de l’être, et on peut voir des écrivains mettre en garde contre une nouvelle forme d’aliénation. Sarraute décrit ici les foules qui s’approchent des vitrines, fascinées par la mise en scène qui flatte et séduit les regards, tout en annihilant l’esprit critique.

 

I. Un apologue visant à construire un tropisme

 

1. La structure du texte nous conduit vers un enlisement et une passivité inéluctable

> La description domine ce texte bref, avec l'imparfait qui étire le temps de la narration réduite au minimum.

> Les mouvements décrits vont vers une immobilité croissante : les verbes sont d'abord des verbes de mouvements ("sourdre, s'écouler, s'étirer") puis des verbes marquant la fixité ("regarder, rester, attendre")

 

2. le récit, imprécis, prend une valeur générale

> le cadre spatio-temporel est vague et imprécis. L'anonymat règne, avec la foule, résumée dans le pronom "ils"

> Les pluriels "les arbres, les trottoirs, les squares" redoublent cette imprécision. Cet univers peut être ainsi universel.

 

3. le retournement de situation final sonne comme une morale de l'apologue

> la fin peut faire penser à une chute : on a un retournement de situation puisque les enfants se comportent de manière adulte, et inversement, les adultes sont fascinés par une poupée...

> On peut alors considérer une morale implicite : le regard des enfants n'a pas été contaminé par la société de consommation qui est régressive.

 

II. Une critique de la société de consommation

 

1. La foule est repoussante, il est impossible de s'identifier à cette masse.

> le champ lexical de la mollesse et de la viscosité donne l'impression d'une foule qui engloutit les êtres, qui dissout les indivudualités

> les personnages sont à l'image du paysage, et la métaphore filée du nauséeux rend toute identification impossible.

 

2. une fascination abrutissante

> les objets exercent une fascination presque hypnotique, dont rendent compte les phrases et les rythmes

> le mythe de Méduse, qui pétrifie ceux qui la regardent, est mis en scène dans les vitrines.

 

3. un texte ironique

> la vitrine fonctionne comme un monde à l'envers, elle recrée un univers pur quand le réel est sous le signe de la saleté, et elle recrée un paysage naturel quand le réel est sous le signe de la dénaturation

> ce monde où les enfants sont plus adultes que les parents a quelque chose de carnavalesque

 

III. Un poème en prose pour lutter contre la pétrification

 

1. Un enlisement qui menace la phrase, la syntaxe

> le rythme des phrases est de plus en plus court, hâché par une ponctuation oppressante.

> la phrase est menacée par une tournure mécanique, comme si la contamination de la société de consommation pouvait hypnotiser le narrateur ("s'allumait; s'éteignait...")

 

2. l'image = un moyen de résister, de redynamiser le sens

> face à cet enlisement, la métaphore et la comparaison permettent d'établir une distance critique ("ils semblaient sourdre... comme s'ils suintaient...")

> comparaisons et métaphores réintroduisent le sème de la nature dans le texte ("grappe, noyau, des montagnes de neige...")

 

3. le poème en prose redéfinit ainsi une modernité poétique

> l'attention aux rythmes et aux sonorités rappellent le poème en prose

> la description de la société de consommation est à la fois une menace pour l'inspiration qui risque de se pétrifier, et son salut.

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