Monologue de Lorenzo

lecture analytique

I. Une répétition pour préfigurer l’action > rôle structurant du monologue

 

1. Une mise en scène du meurtre

> Lorenzo envisage la scénographie, avec décors et accessoires (épée, baudrier) et la lumière (non je n’emporterai pas la lumière, il se verra tuer)

> il dirige les acteurs de la scène (il posera son épée là) et envisage le rôle des personnages secondaires dans les coulisses (Scoroncolo est enfermé dans le cabinet)

> il compose des répliques « si vous y tenez cependant – mais non pourquoi ? »

 

2. une parole de détermination, d’auto-persuasion

> le futur programmatique donne à la scène des allures de prophéties

> Lorenzo est en marche, il s’assied, a des envies de danser, il mime la scène, trinque… Sa gestuelle implique tout son corps et soutient sa parole. Le corps aide l’esprit…

 

3. l’image du destin en marche

> motif du temps qui sonne comme un signe de fatalité : « une heure est une heure, et l’horloge vient de sonner », qui fait écho à « l’heure va venir »

> motif de la marche : « j’irai droit au coeur », « j’irai à lui tout droit » : il incarne une marche funèbre. Il s’agit d’une marche vers la révélation « je ne voudrais pas qu’il tournât le dos »

> la lune peut, avec sa face livide, être la divinité funeste qui mène les événements. Lorenzo fait concurrence à Dieu « lutter contre dieu et le diable, ce n’est rien »

 

II. Déstructuration du monologue et de son discours : la fébrilité du personnage

 

1. éclatement du discours

> à travers la multiplicité des dialogues qui sont ouverts

> à travers le coq à l’âne et le bouleversement de la syntaxe (notamment avec les tirets)

> à travers des contradictions : « je viderai un flacon / non ; je ne veux pas boire »

 

2. mélange des registres

> la confusion psychologique passe par les marques d’oralité et les interjections, les répétitions et exclamations, qui va jusqu’à la vulgarité du juron « Sang du Christ » ou la trivialité « la première fois qu’une femme se donne, cela est tout simple.

> à cela s’oppose le registre soutenu, avec des imparfaits du subjonctif, l’apostrophe à la lune ou au langage « ô bavardage humain », la métaphore filée de la lumière, symbole de vérité, de révélation, et la dimension lyrique des rappels à la mère et à Catherine.

 

3. mélange des intrigues

> Lorenzo superpose une aventure personnelle (cf sa mère), une aventure politique (« révolution », « républicains », « on se mettra demain aux fenêtres »), et une aventure conjugale. Au dernier soupir du duc se superpose le dernier soupir de la mère… La description de la côte de maille peut symboliser l’intrication des intrigues «  des bouts de ferraille croisés les uns sur les autres... »

> Eros et Thanatos se superposent dans l’imaginaire saturé de Lorenzo : la chambre nuptiale devient chambre funéraire, et le meurtre s’imagine dans l’acte de déshabiller le duc de sa cotte de maille… La violence exercée sur le duc fait écho à celle que le duc veut exercer sur Catherine.

 

III. Le spectacle de l’inaction

 

1. Les aléas de la représentation

> une mise en scène hésitante : on a vu l’hésitation sur la lumière, mais aussi : à la ligne droite vers le duc, s’oppose la tentation du détour « il faut que j’aille dans quelque cabaret », et finalement le personnage se demande « où diable vais-je donc »

> un partenaire peu coopératif : les tournures hypothétiques multiplient les réactions du duc : « pourvu qu’il n’ait pas imaginé » / «  s’il pouvait lui prendre la fantaisie »… Le meurtre est sous le signe de l’interrogation « assis, couché ou debout ? » ou de l’irréel.

 

2. Une action en train de se défaire

> structure circulaire du discours, de « Pauvre fille » à « Pauvre Catherine », de « Que ma mère mourût de tout cela » à « Que ma mère mourût de tout cela... »

> une action sans cesse différée par les commentaires et digressions : l’utilisation du tiret comme parenthèse, l’inflation de la parole montre que le personnage au lieu de se rassurer (comme le Cid) au contraire se disperse. Il n’avance pas : le lieu « une place » est symbolique, dans la mesure où le personnage fait du sur-place.

 

3. Dissolution de l’action tragique dans la parole et le spectacle

> on est donc dans un discours proche du délire, qui fait écho au bavardage des républicains « ah ! Les mots , les mots, les éternelles paroles » qui font elles-mêmes écho à « words words words » de Shakespeare. La parole devient un lieu de mise en abyme, un gouffre.

> surtout, le personnage est sans cesse dans la représentation, et jamais dans la présence au monde. Il se dédouble sans cesse dans son discours, s’imagine toujours en représentation « s’il y a quelqu’un là-haut, il doit bien rire de nous tous ; cela est très comique » : le theatrum mundi déréalise l’action en comédie, en spectacle dérisoire.

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