scènes de bal

textes : La Princesse de Clèves, Madame Bovary, Anna Karénine

un lieu féérique et théâtral

> un lieu d'illusions merveilleuses : le cadre est "semblable à un rêve enchanteur", selon Kitty dans Anna Karénine. La scène de bal est en effet éblouissante, à l'image des personnages idéalisés que l'on rencontre dans La Princesse de Clèves. L'admiration, "un grand étonnement", caractérisent cet univers où la vue des personnages est ainsi sans cesse sollicitée. Cependant, la structure du texte de Madame Bovary témoigne d'un passage de l'illusion à la réalité. Le geste symbolique "elle mit la main devant ses yeux" peut être compris comme l'aveuglement du personnage qui a l'illusion de vivre un rêve éveillé.

> un univers mis en scène : la danse est codifiée dans Madame Bovary, et Emma est progressivement exclue de la piste de danse, condamnée à n'être que spectatrice d'un spectacle qui lui échappe, à l'image de son mari qui a passé "cinq heures de suite à regarder jouer au whist sans y rien comprendre". Si ce lieu est bien un lieu de spectacle, on remarque que les rois et reines de la princesse de Clèves mettent en scène et tirent les ficelles de la scène : "le roi lui cria de prendre celui qui arrivait", "ils leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient". Les rois et reine dirigent ainsi les déplacements et les discours des personnages. 

 

un lieu de séduction où le désir s’exprime

> le spectacle éblouissant ainsi mis en scène est favorable aux rencontres amoureuses. La princesse de Clèves et M. de Nemours ont ainsi un véritable coup de foudre, notamment en raison de leur beauté superlative liée au soin que les personnages ont pris pour "se parer". De même, les visages de Kitty et Vronsky témoignent de l'intensité de leurs sentiments. La phrase "elle semblait chercher à dissimuler cette joie, mais le bonheur ne s'en peignait pas moins sur son visage" fait écho à "sur le visage de Vronsky, Kitty remarqua cette expression frappante..."

> regards, gestes et déplacements : la danse est un moment particulièrement sensuel. La danse d'Emma souligne cette sensualité presque érotique : "leurs jambes entraient l'une dans l'autre, il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui; une torpeur la prenait". Anna "était séduisante avec sa robe noire, ses beaux bras couverts de bracelets, son cou élégant entouré de perles, ses cheveux noirs frisés et un peu en désordre". Le portrait est ainsi érotisé par le costume et les accessoires. Le bal est ainsi un lieu où le désir porte au-delà des convenances, et le geste de Nemours, "qui passait par-ddessus quelques sièges pourarriver où l'on dansait" symbolise ce mouvement transgressif.

 

un lieu d’ivresse, où l’on peut se perdre

> les personnages sont grisés, à l'image de Kitty qui "ne cessait de danser que lorsque les forces lui manquaient" ou d'Anna, qui "parut grisée". Le rythme effréné de la valse fait également tourner la tête d'Emma : "ils tournaient : tout tournait autour d'eux, les lampes, les meubles, les lambris le parquet, comme un disque sur un pivot". Le rythme de la phrase, avec l'accumulation, rend compte de l'abondance des émotions qui étreignent le personnage.

> un lieu tragique ? la griserie de Vronsky et Anna renvoie également à la jalousie de Kitty "Kitty l'admirait plus encore qu'auparavant, tout en sentant croître sa souffrance". Le visage de Kitty est littéralement défiguré, "tant ses traits étaient altérés", et le personnage est ainsi mis à la torture. Cette dimension pathétique est également présente dans Madame Bovary. L'ironie du narrateur souligne en effet la cruelle désillusion d'Emma, qui n'appartiendra jamais à "cette vie luxueuse qu'il lui faudrait tout à l'heure abandonner". Le geste d'Emma, qui "ouvrit la fenêtre et s'accouda" pour voir la nuit noire et la pluie tomber a tout d'une gestuelle mélancolique. Enfin, la dimension tragique dans la Princesse de Clèves est présente dans cette scène de coup de foudre arrive trop tard, après le mariage de l'héroïne.

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