Créer un site internet

l'utopie dans Télémaque

quelques pistes de réflexion

I. Omniprésence d'un rêve obsédant

 

1. Variété

> utopies canoniques : Bétique et Salente. Bétique précédée par concert de Mentor, sorte de prélude, d’introduction à l’univers de la perfection. Salente est introduite par une phrase poétique qui file la métaphore de la fleur en éclosion. Le lecteur perd ainsi ses références au réel pour entrer dans un texte poétique, onirique. Nous entrons dans une écriture utopique, autarcique et onirique.

> à la lisière de l’utopie : L’Egypte, la Crète, Tyr : ce sont des utopies qui ne sont pas développées, des lieux remarquables qui portent uniquement quelques stigmates de la perfection. Les déserts deviennent des lieux paradisiaques : Oasis du livre II et Samos. Le thème de l’utopie est permanent, c’est l’horizon du livre.

> Le locus amoenus : on a des micros utopies, des lieux privilégiés qui surgissent ainsi dans le roman, comme la grotte de Calypso, le bouclier de Télémaque, ou la description des Champs Elysées. Ce sont des « lieux » où on chante l’harmonie entre l’homme et la nature.

> les contre-utopies : Chypre et Ogygie montrent l’envers du rêve utopique, avec une écriture du délire passionnel, du déchaînement des passions. On est alors dans les royaumes des mauvais rois, que ce soient Bocchoris ou Pygmalion, qui fait étrangement penser à Big Brother…

 

2. Géographie de l’utopie

> une localisation improbable. La géographie réelle est travestie par l’imaginaire mythologique. On sait situer l’Egypte, par exemple, mais cette Egypte pleine de canaux, remplie de villes opulentes et peuplée de bergers, on ne peut la situer. Idem pour Chypre ou la Crète… On a surtout une géographie imaginaire, avec des lieux symboliques qui concrétisent des rêves.

> des lieux séparés, à l’écart du monde : ce sont souvent des îles. Cela souligne que ces royaumes ne sont pas de notre monde. L’utopie est d’abord une construction imaginaire ou intellectuelle.

 

3. Le temps de l’utopie

> le temps du commencement. Thème de la ville naissante, de la fondation de la cité = omniprésent. On élabore un nouveau monde, un nouveau départ pour reconstruire la civilisation… cela correspond au désir de refaire le monde, dans une sorte de révolution sans violence.

> un temps irréel : l’éternel printemps en est un beau symptôme. Hors de l’espace, l’utopie est aussi hors du temps, elle échappe aux contraintes du réel, comme en témoigne la référence à l’Age d’or, temps d’avant le péché, temps du bonheur originel.

 

II. La politique utopique

 

1. un roi idéal

> un roi aux vertus chrétiennes. Lieutenant de dieu, père du peuple, la piété est sa première vertu car le pouvoir est confié par les dieux. À l’inverse, le tyran se croient des dieux, s’imaginent au-dessus de l’humanité.

> un roi berger. Image qui fait écho au thème littéraire de la pastorale, et à l’univers chrétien

> un roi sacrifié. Le roi est l’esclave de son peuple, il est à son service et doit sacrifier sa vie au bonheur des autres (son corps est une hostie). Il doit même sacrifier son image, sa réputation « un vrai roi doit préférer le salut de son royaume ) sa propre réputation » (L. X). La fonction royale est une mission christique, le roi se fait le rédempteur de son peuple.

 

2. son administration

> viser la paix. Condamnation absolue de la guerre dans le discours utopique de Mentor au livre X, après l’acclamation des soldats qui crient en choeur « la paix ! » au livre IX.

> viser le bonheur du peuple. Ce bonheur a une part matérielle, et l’utopie est marquée par l’abondance, que le commerce et le travail peuvent développer. Ce bonheur assure surtout la liberté (c’est pourquoi la tyrannie est insupportable).

 

3. l’économie et la société

> l’utopie de Fénelon est essentiellement libérale, même si ce libéralisme est encadré. Ses lois sont morales : les lois que Mentor propose à Salente visent à « combattre l’orgueil et la mollesse ».

> le communisme utopique. On retrouve dans la liberté et l’égalité utopiques deux mythes : l’age d’or et le communisme de l’Église primitive (Acte des Apôtres). L’utopie est ainsi le prolongement politique de l’amour du prochain.

 

III. L’homme utopique

 

1. Les vraies valeurs

> le travail. Les habitants de la Bétique sont toujours actifs : l’utopie exige une cadence de travail soutenue. C’est surtout le travail de la terre qui est valorisé. Ce travail n’est pas qu’une activité économique, c’est aussi une activité morale : il conduit vers le bien.

> la modération. L’utopie se caractérise par le règne de la mesure. C’est un accomplissement de la sagesse humaniste, qui fait triompher la raison sur les passions.

> la simplicité. Le luxe et le superflu sont bannis, dans une perspective ascétique qui affirme la priorité de l’être sur l’avoir. L’idéal n’est pas l’accumulation des biens (quantitatif), mais l’accroissement de la vertu (qualitatif). Le verbe préféré de Mentor est « retrancher » ! : il s’agit de ramener à l’essentiel, de débarrasser l’homme des artifices de la civilisation. Cet idéal du dépouillement permet de retrouver une pureté originelle.

 

2. Un ordre contraignant

> le symbole des uniformes à Salente témoigne d’une hiérarchie importante. On est dans une société très contrôlée : Mentor règle même la nourriture des citoyens et des esclaves… la vie familiale n’est plus autonome, mais réglementée par l’État, comme les loisirs et la vie culturelle.

> Fénelon impose une loi omniprésente

 

3. La religion

> la fraternité est la valeur suprême. La fraternisation des ennemis est chantée par Mentor. L’utopie est celle de l’amour, de la communion.

> Jérusalem céleste. Les utopies se réalisent en dehors des territoires humains, dans les lieux étincelants, éclairés de l’éclat mystérieux de la lumière mystique, comme les Champs Élysées. L’utopie suprême, c’est la béatitude des élus.

> l’homme nouveau. Ce lieu surnaturel est atteint par ceux qui ont vaincu le péché. Il faut passer par l’étape de la conversion : l’homme doit tuer en lui le vieil homme pour que renaisse un homme nouveau (penser à Luke Skywalker).

L’ambition de l’utopie n’est donc pas seulement de changer le monde, il s’agit aussi de changer l’homme. L’utopie n’est pas seulement idéologique, elle est métaphysique.

 

Conclusion

On a beaucoup d’utopies dans Télémaque, pourtant, la terre rêvée, c’est Ithaque, qui n’apparaît pas, ou seulement comme un horizon. L’utopie c’est ce qui adviendra après le livre, c’est au lecteur de la réaliser.

Ajouter un commentaire