l'albatros

lecture analytique

I. Une allégorie du Poète

 

1. La progression de la désignation du personnage érige l'oiseau en véritable symbole : « des albatros », « ces rois de l’azur » « ce voyageur ailé », «au prince des nuées ». On va de l’indéfini vers le défini, du pluriel vers le singulier, qui donne une dimension de plus en plus exemplaire, symbolique. La majuscule à Poète signifie ce processus d’allégorisation.

 

2. un être supérieur : les périphrases qui le désignent soulignent la grandeur et la majesté de l’oiseau « vastes oiseaux des mers » (hypallage qui donne à l’oiseau la dimension de la vaste mer), « ces rois de l’azur ». Les espaces parcourus par l’oiseau renvoient aussi à l’idée de vastitude « voyage, gouffres, mers... ». On remarque aussi le thème de la grandeur dans « ses ailes de géant ». Être aérien, il est caractérisé par ses ailes (« grandes ailes blanches » / « voyageur ailé » / « ailes de géant ») : on est ici dans le domaine du sublime, comme le suggèrent les images finales où le personnage « hante la tempête et se rit de l’archer » pour acquérir une dimension mythologique.

 

3. un personnage déchu : le personnage est « déposé sur les planches » et « exilé sur le sol » : ce mouvement de chute est de plus souligné par les phrases, de moins en moins amples (cf la troisième strophe). L’anacoluthe des deux derniers vers souligne enfin l’effet de chute. Autre effet de chute : le mot « roi » est repris dans le même vers par le mot « maladroit » : on voit comment Baudelaire brise l’image glorieuse de l’oiseau majestueux.

 

II. L’opposition au peuple

 

1. les hommes d’équipage au contraire sont cruels : « pour s’amuser » renvoie à une forme de sadisme, qui sera repris avec l’image du brûle-gueule. Les moqueries sont également développées à travers le mime qui caricature l’oiseau, et les « huées » de la dernière strophe. On peut relever le jeu de sonorités qui insistent sur le fait que l’oiseau soit piégé « l’un agace son bec avec un brûle-gueule »

 

2. un monde de théâtre : le navire est caractérisé par ses « planches », et on est dans le registre de la comédie, voire de la farce, quand on imite l’oiseau pour le dégrader. Les hommes sont ainsi caractérisés par leurs actions, ils « prennent » des albatros, les déposent, les imitent… alors que l’oiseau est dans les hautes sphères de la pensée.

 

3. un monde étroit : « le navire » marque un rétrécissement des horizons. Le point de vue se rétrécit aussi : on passe du point de vue général, omniscient, à un point de vue interne à la troisième strophe. Le temps se rétrécit également : de « souvent » à « à peine », il y a un effet de dramatisation, d’accélération, qui s’oppose au rythme de l’indolent compagnon de voyage.

 

III. Une figure de l’écartèlement

 

1. le règne de l’antithèse : un personnage déchiré. L’image du poète est à la fois animalisée (avec l’albatros, les ailes) et mécanisée (« comme des avirons »). A la fois sublime et infirme, l’albatros multiplie les antithèses « lui naguère si beau, qu’il est comique et laid » (noter les sonorités en k qui renvoient à la dégradation). Le vers est ainsi souvent en 2 parties, l’une positive, l’autre négative, « que ces rois de l’azur / maladroits et honteux », « ses ailes de géant / l’empêchent de marcher ». On est ainsi dans l’écriture de la désillusion, du désenchantement.

 

2. entre horizontalité et verticalité : un monde déchiré. Entre les gouffres amers et les nuées, l’albatros est un animal de la verticalité. Le navire, au contraire, suit une horizontalité toute opposée. Le dernier vers, « ses ailes de géant l’empêchent de marcher » reprend ce hiatus qui incarne le drame du poète, fait pour s’élever dans un monde spirituel, mais exilé dans le monde bassement matériel d’une humanité dégénérée.

 

3. une poésie déchirée. On retrouve l’alliance du grotesque et du sublime dans une forme renouvelée du romantisme. On a aussi un poème proche de la fable avec une tension entre narration et vérité générale. Cette poésie est une recherche du beau dans la tempête, au cœur des tensions : la rime intérieure tempête / poète en témoigne.

 

L’image du poète incompris peut rappeler que la publication des Fleurs du Mal a été houleuse, l’oeuvre ayant été frappée d’interdiction par la censure… Le brûle-gueule, sorte de bâillon, est ainsi une figure de la censure. Et les marins peuvent être des avatars des critiques littéraires reprochant au poète d’être « gauche et veule »… empêchant l’art d’avancer…

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