le réquisitoire du procureur

lecture analytique

I. Un réquisitoire moral : le cœur de la cour

 

1. un discours sacré qui fixe les frontières entre l'humain et le monstrueux

> Le discours est encadré par le vocabulaire religieux (l'âme / commandement sacré) et l'imaginaire de la bassesse et de l'élévation (gouffre/élevé) a aussi des résonances religieuses (enfer/paradis)

> la justice des hommes condamne l'inhumain (abominable/horreur/monstrueux) : le crime de Meursault ne peut être nommé, mais seulement évoqué (l'horreur que lui inspirait le crime… l'horreur que je ressens)

>> le crime relève de l'indicible, du tabou sacré.

 

2. le cœur de l'argumentation : une mise en danger de la société

> l'argumentation progresse en opposant de plus en plus l'individu et la société : a. Meursault n'a pas de cœur. b. il se retranche de la société dont il méconnaît les règles. c. il ne peut faire appel au cœur des jurés.

> Meursault est ainsi progressivement désindividualisé : le procureur oppose « il » et « nous » dans son discours, puis évoque de manière générale, voire abstraite ou indéfinie, le personnage ( « l'homme » et « un visage d'homme ») afin de le défigurer.

>> Meursault est écarté de la société qu'il menace

 

3. une argumentation du cœur : le procureur se fait gardien de la morale

> le procureur insiste sur la douleur et la pénibilité de sa tâche, sur un devoir à accomplir à contre cœur… Il donne de lui un visage humain après avoir brossé le portrait du monstre. Il insiste sur les sentiments (ce dont M était incapable) qu'il va éprouver lors de son prochain meurtre…

> On a une opposition entre la « tête » qui est demandée et le « cœur léger » du procureur. Une fois Meursault mis au ban de la société, on peut punir « sans faiblesse », « fermement »… sans cœur…

>> Figure de la bonne conscience

 

II. Une argumentation persuasive

 

1. des arguments qui jouent sur les sentiments : l'art du détour

> l'argumentation passe par la mort de la mère, puis par le parricide d'un autre accusé : ces crimes concernent de moins en moins l'affaire.

> Efficacité cependant au niveau des sentiments convoqués : Meursault est enfermé entre un crime passé et un crime à venir, entre la mort d'une mère et celle d'un père…

>>

 

2. Une mise en scène démonstrative

> importance de la gestuelle : théâtralisation de l'acteur qui interpelle les jurés, désigne « cette cour », montre l'accusé « cet homme » (une « dé-monstration »).

> jeu sur silences, et évolution du ton : l'acteur finit « brillant de sueur », c'est-à-dire que ses efforts le transfigurent.

>> L'humanité qu'il représente est faite de paraître, de théâtre, d'effets calculés… ce dont Meursault était effectivement incapable.

 

3. des images touchantes

> images impressionnantes au ton solennel : « le vide du cœur… un gouffre où la société peut succomber » « une main meurtrière sur l'auteur de ses jours »

> rythmes et sonorités : rythmes ternaires ouvrent et ferment le texte. Allitération « cet atroce attentat »

>> il s'agit de produire une impression de culpabilité plutôt qu'apporter des preuves.

 

III. Une condamnation absurde

 

1. Un discours mis à distance

> les paroles rapportées

> distanciation critique dans la répétition des « selon lui »

>> une satire de la justice

 

2. La peine de mort : une réponse inhumaine à la monstruosité

> le procureur, double de Meursault, qui s'apprête à faire mourir un homme. Sueur qui rappelle scène du crime de Meursault.

> ironie (tragique)

>> littérature engagée dans la lignée de Hugo

 

3. un condamnation qui ne s'appuie pas sur la logique

> la disparition du crime dans l'argumentation, oubli des causes

>> sentiment d'étrangeté, d'assister au procès d'un autre

Ajouter un commentaire