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texte 3, Rhinocéros

une conscience endormie

 

1. Dudard semble mesuré et raisonnable, il cherche à dédramatiser l'événement. Le ton de ses paroles est apaisant : il veut prouver par l'expérience que les rhinocéros ne sont pas dangereux. Ils ne sont jamais nommés (sauf ligne 38), le pronom « ils » les renvoient à une masse anonyme. Dudard utilise des formules négatives (ils ne sont pas méchants) puis positives (ils vous ignorent) voire bienveillantes (je n'ai eu aucun ennui).

 

2. Ce discours indulgent rappelle l'attitude des Parisiens face à l'occupant nazi en 40. Des tournures minimisent l'agressivité : « dans le fond », « d'ailleurs »… cela contribue à ôter le caractère monstrueux, avec la notion de « candeur » ou de « candeur naturelle ». Ils sont ainsi lavés de toute responsabilité.

 

3. Dudard plaide pour une attitude distanciée, et accuse Bérenger d'être « trop impressionné » ou de « manquer d'humour »… Dans le trop ou le pas assez, Bérenger n'est pas à la bonne distance, selon Dudard, qui préfère s'enfermer dans une attitude d'indifférence, oscillant entre scepticisme aimable et égoïsme affirmé.

 

4. Dudard prêche ainsi une morale de l'acceptation : l'évolution des temps en témoigne, du passé composé « j'ai été surpris », qui contraste avec l'imparfait, et le présent « je commence à m'habituer »… L'habitude a effacé la surprise ! L'utilisation de la concession est également remarquable par l'ironie de Ionesco : il marque ainsi son ouverture d'esprit, mais sa phrase est interrompue par les bruits du rhinocéros au moment où il allait développer le « mais » d'opposition.

 

Le refus de se résigner

 

1. Bérenger n'écoute pas toujours Dudard, ses répliques ne répondent pas toujours à son interlocuteur. Totalement sous l'emprise de l'émotion, il ne peut se maitriser « c'est nerveux ». Son discours est envahi par des pronoms démonstratifs indéfinis « ça me bouleverse, ça ne me met pas en colère, cela me fait qqch... ». Cette indéfinition culmine dans « la chose », l 17

 

2. Bérenger cherche à cerner son impression, et non les causes qui l'ont produite. Il n'est pas dans la posture intellectuelle désengagée de Dudard, mais se constitue en être d'émotion. Son émotivité transparait dans son vocabulaire, et dans l'ordre des phrases qui est bouleversé « rien qu'à les voir, moi, ca me bouleverse ». La 1ère pers du sing est alors en position d'objet, et non en sujet : l'émotion le rend impuissant, incapable de révolte.

 

3. Personnage uniquement dans la réaction physique, il est incapable d'agir, de prendre position. Sa tirade est une parodie de discours intellectuel : la première partie est au conditionnel, avec le pronom « on » comme sujet… l'effet est de déréaliser, de rendre abstrait une situation. Le vocabulaire de l'argumentation est très présent « discuter, étudier, tirer des conclusions... ». Cela permet à Bérenger de s'en remettre aux savants, écrivains, hommes de loi… pour penser. Il ne pense pas par lui-même…

 

4. Bérenger perd ses facultés d'analyse dans une situation d'exception. Son impuissance se nourrit de son étonnement. Par trois fois, il est « surpris », il ne peut « comprendre » la situation. La scène est ici encore une fois l'occasion de mettre en scène la faillite du langage qui ne peut avoir de prise sur le réel. On oppose « l'événement » et « la réalité brutale des faits », on utilise un vocabulaire savant inutilement, et la gradation « intéressant, passionnant, instructif » est à cet égard parlante. On signale une élévation de l'esprit… alors qu'il s'agit de montrer un processus de rabaissement des corps. Le langage, inopérant, laisse la place à une ironie envahissante. D'où la mention des « femmes savantes »...

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