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texte 2, Rhinocéros

La métamorphose de Jean

 

I. Un moment de tension : un dialogue du duo au duel

 

1. le dérèglement de la conversation

Bérenger se rend chez Jean pour se réconcilier avec lui. Ils viennent de se disputer au sujet des rhinocéros d'Asie et d'Afrique. On s'attend à une scène de réconciliation et de pardon réciproque. Bérenger ne cesse d'user de politesse, avec une ton mondain (« je vous en prie », « mon cher Jean »), et son vocabulaire est du côté de la réflexion (« penser », « réfléchir », « comprendre », « savoir »…). Jean au contraire est véhément, voire insultant, il impose ses idées de manière totalitaire. La scène est donc le lieu où s'affrontent deux langages, celui de Jean, tentant d'écraser celui de Bérenger, encore confiant dans la force persuasive du langage. Jean est en p osition de force, il occupe l'espace alors que Bérenger est assis dans un fauteuil et parle sans bouger.

 

2. l'affrontement verbal

Les dignes de tension sont vite présents : ponctuation forte, raccourcissement des répliques (vers la stichomythie), interruptions répétées, succession d'impératifs… on est dans une logique du duel verbal. Les répliques sont de plus en plus courtes. Les mots, repris d'une réplique à l'autre, changent de signification (la nature, la morale), et les personnages rebondissent sur des antonymes : l'invitation à « bâtir » de Bérenger est effacée par l'appel à la démolition de Jean à la ligne suivante… Les personnages ont de plus en plus de mal à communiquer, d'autant plus que les barrissements envahissent l'espace du dialogue.

 

II. De la farce à l'horreur : la métamorphose, un spectacle terrifiant

 

1. Un moment spectaculaire

Ce passage pose un problème de mise en scène : l'acteur se maquille et devient de plus en plus vert à mesure qu'il va dans la salle de bain. Le lieu qui symbolise la civilisation devient ainsi, de manière paradoxale, celui du retour à un état originel et monstrueux. La duplicité du personnage est alors matérialisée par l'espace double : la chambre de Jean, espace visible par les spectateurs, et la salle de bain, espace hors scène, lieu de la transformation. Une lecture précise des didascalies permet de repérer les différents aspects de la transformation : elle touche l'apparence physique, la parole, et les déplacement. Ainsi, l'humanité du personnage s'efface par degrés.

 

2. Un malaise croissant

Si Bérenger s'efforce de parler normalement, la conversation apparaît truffée de jeux de mots, de mots à double entente. Le mot « têtu » renvoie au siège des idées aussi bien qu'à l'obstination de Jean, dont la tête change avec l'apparition de la corne. On retrouve un jeu de mot avec « perdez-vous la tête ? » dans le même ordre d'idée. Les expressions « lois de la jungle » ou « j'aime le changement » peuvent prêter à sourire dans le contexte animalisé de la scène… Les mots sont ainsi touchés par le rhinocérisme. Le langage tourne au psittacisme et perd toute logique, devenant barrissement.

 

III. La dénonciation du rhinocérisme

1. Le renversement des valeurs

Les valeurs humaines / humanistes sont renversées au profit de la violence totalitaire qu'incarne le rhinocéros ; sa dureté, sa puissance, son agressivité et sa couleur proche des uniformes nazis rappellent que l'instinct prime. La notion de plaisir est répétée au début de l'échange, puis la suppression de l'idée de morale laisse entendre que les valeurs rhinocériques assurent la victoire de la brute. Le règne de l'instinct est matérialisé sur scène par les mouvements de Jean qui tourne en rond comme une bête en cage. Le règne de l'état de nature, de la loi de la jungle, font ressortir une idéologie réactionnaire poussée à l'extrême. C'est à cet imaginaire que renvoient les périphrases de « l'intégrité primordiale » ou « les fondements de notre vie ».

 

2. La rhétorique totalitaire de Jean

Jean parle par clichés (« elle est belle la morale ») et par slogans (« il faut... »). Ses paroles ne sont pas le fruit de réfexions, mais d'un automatisme. Son esprit est sous le signe de la fermeture à l'autre, et le chiasme « nature-morale-loi-antinaturelle » figure bien le cercle d'un discours fermé sur lui-même. Faisant des répliques de plus en plus courtes, sa parole est proche de la novlangue d'Orwell, une parole réduite témoignant d'une pensée réductrice. Au contraire, Bérenger semble de plus en plus ironique (allusion à la poésie), laissant entendre une ouverture possible du sens dans l'implicite.

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