aveux de phèdre

LES SILENCES DE PHÈDRE

Dès le début Phèdre se sait coupable,et ce n'est pas sa culpabilité qui fait problème, c'est son silence : c'est là qu'est sa liberté. Phèdre dénoue ce silence trois fois : devant Oenone (I, 3), devant Hippolyte (II, 5), devant Thésée (V, 7). Ces trois ruptures ont une gravité croissante ; de l'une à l'autre, Phèdre approche d'un état toujours plus pur de la

parole. La première confession est encore narcissique. Oenone n'est qu'un double maternel de Phèdre, Phèdre se dénoue à elle-même, elle cherche son identité, elle fait sa propre histoire, sa confidence est épique. La seconde fois, Phèdre se lie magiquement à Hippolyte par un jeu, elle représente son amour, son aveu est dramatique. La troisième fois, elle se confesse publiquement devant celui qui, par son seul Être, a fondé la faute ; sa confession est littérale, purifiée de tout théâtre, sa parole est coïncidence totale avec le fait, elle est correction : Phèdre peut mourir, la tragédie est épuisée. Il s'agit donc d'un silence torturé par l'idée de sa propre destruction. Phèdre est son silence même : dénouer ce silence, c'est mourir, mais aussi mourir ne peut être qu'avoir parlé. Avant que la tragédie ne commence, Phèdre veut déjà mourir, mais cette mort est suspendue : silencieuse, Phèdre n'arrive ni à vivre ni à mourir : seule, la parole va dénouer cette mort immobile, rendre au monde son mouvement.

Secret, souffrance et culpabilité

Phèdre propose donc une identification de l'intériorité à la culpabilité ; dans Phèdre, les choses ne sont pas cachées parce qu'elles sont coupables (ce serait là une vue prosaïque, celle d'Oenone, par exemple, pour qui la faute de Phèdre n'est que contingente, liée à la vie de Thésée) ; les choses sont coupables du moment même où elles sont cachées : l'être racinien ne se dénoue pas et c'est là qu'est son mal : rien n'atteste mieux le caractère formel de la faute que son assimilation explicite à une maladie ; la culpabilité objective de Phèdre (l'adultère, l'inceste) est en somme une construction postiche, destinée à naturaliser la souffrance du secret, à transformer utilement la forme en contenu. Cette inversion rejoint un mouvement plus général, celui qui met en place tout l'édifice racinien : le Mal est terrible, à proportion même qu'il est vide, l'homme souffre d'une forme. C'est ce que Racine exprime très bien à propos de Phèdre, quand il dit que pour elle le crime même est une punition. Tout l'effort de Phèdre consiste à remplir sa faute, c'est-à-dire à absoudre Dieu.

                                                                                                                                                                  Roland Barthes, Sur Racine

 

LES AVEUX DE PHÈDRE SELON EURIPIDE

Phèdre: Qu'est-ce donc qu'on appelle amour chez les humains ?

La Nourrice : Rien n'est plus doux, ma fille, ni amer tout ensemble.

Phèdre: Je n'en aurai goûté, pour moi, que l'amertume.

La Nourrice : Quoi, tu aimes, ma fille ? Est-ce un homme, et lequel ?

Phèdre: Celui-là – homme ou non - qu'enfanta l'Amazone.

La Nourrice : Hippolyte, dis-tu ?

Phèdre: C'est toi qui l'as nommé.

La Nourrice : Grands dieux, ai-je entendu ? Coup mortel, mon enfant ! Amies, c'est plus que je ne saurais supporter vivante. Jour exécré, odieuse lumière, je veux me précipiter, en finir avec la vie, mourir. Adieu, j'ai fini d'exister. Si les gens vertueux , malgré eux, doivent aimer coupablement, c'est que Cypris n'est pas une déesse mais, s'il peut, un être plus puissant encore, puisqu'elle a détruit Phèdre, et moi, et toute la maison.

                                                                                                                                                                                                               Euripide, Hippolyte couronné

 

 

 

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