texte 3, Les Mouches, dénouement
I. Oreste et son peuple : le héros contre le peuple
1. un héros marginal
Dans la tragédie d'Eschyle, le Coryphée félicite Oreste et indique que son crime est perçu comme un exploit « tu as triomphé », « un coup heureux ». Au contraire, chez Sartre, la foule insulte Oreste et le menace de mort « mes sujets très fidéles » sonne alors comme une antiphrase. Avec cette tonalité ironique, Sartre prend ses distances avec la tradition et renverse le statut du héros. Oreste n'est plus héroïque : son geste était sacralisé dans la mesure où il se réfugie dans un temple bâti autour de l'Ombilic du monde… il prend une dimension blasphématoire chez Sartre.
2. le peuple lâche
La pièce moderne présente le peuple sous le signe de la lâcheté. Il est complice d'Egisthe et se satisfait de l'injustice. « vous avez accueilli le criminel comme votre roi » : l'opposition criminel/roi rend compte de la duplicité du peuple. Alors que le peuple était solidaire du héros, chez Sartre, la tension entre l'individu et le groupe est extrême.
3. un appel à la résistance
On peut voir chez Sartre une figure du héros révolutionnaire, qui agit seul contre tous. Dans le contexte politique, c'est évidemment un appel à la résistance qui est évoqué. Il s'agit de refuser la soumission au pouvoir en place, sous le signe de l'usurpation et de l'injustice…
II. Réécriture parodique de la figure christique
1. Une figure christique
Oreste rappelle la figure du Christ dans la mesure où il accepte de se sacrifier pour la communauté en prenant sur lui toutes ses fautes. De même que le Christ est sacrifié en étant proclamé roi des juifs, Oreste se proclame roi et se voit rejeté par le peuple. De la même façon, Oreste incarne une figure d'amour qui rachète les péchés « ô mes hommes je vous aime », « vos fautes et vos remords, je prends tout sur moi ». Enfin, comme le royaume de Dieu qui n'est pas de ce monde, Oreste dit être « un roi sans terre et sans sujets ». Dans les deux cas, le héros représente une figure messianique venue libérer les hommes malgré eux.
2. Un Christ sans Dieu
La réécriture est cependant parodique. La référence au Christ est désacralisée (tout est désacralisé), et Oreste n'est pas l'émissaire d'un Père, d'une transcendance. Au contraire, « mon crime est bien à moi » : il agit de sa propre autorité, c'est le règne de l'immanence. D'ailleurs, cette appropriation des fautes se fait au nom des hommes, et non au nom de dieu. « c'est pour vous que j'ai tué ». Enfin, il appelle le peuple à se libérer par lui-même « tout est neuf ici, tout est à recommencer », signifiant que c'est à l'homme seul de faire son propre salut. Autrement dit, Oreste invite l'homme à prendre la place de Dieu, au rebours de la tradition antique où le personnage n'est qu'un instrument dans les mains des dieux.
3. parodie de mythes
D'autres mythes sont évoqués : Oedipe (yeux arrachés), Prométhée (foie dévoré)… La réécriture de Sartre apparaît ainsi avec une volonté de syncrétisme qui met à distance à la fois le mythe antique et la référence chrétienne. Il s'agit de faire table rase, de prendre ses distances avec la tradition pour ouvrir un nouvel horizon… ce qui est le but de toute réécriture (cf dissertation). Cette mise à distance des traditions, où les dieux étaient au premier plan, affirme alors les valeurs d'un humanisme laïcisé.
III. Un héros existentialiste
1. Un nouveau système de valeurs
Oreste rappelle le passé d'Argos pour opposer deux types de meurtriers : Egisthe a tué sans assumer la responsabilité de son crime : l'image des « gants de sang » signifie qu'il s'est gardé du contact direct avec le sang, il a voulu garder les mains propres… Au contraire, Oreste assume pleinement son acte : « mon crime est bien à moi » : il n'y a pas de déterminisme, mais une liberté qui s'exprime.
2. Une attitude exemplaire
Oreste entend alors libérer le peuple en offrant le spectacle de sa propre libération. Sa position, « dressé » face à tous, rappelle l'acteur devant son public. (« vous me regardez, gens d'Argos ») : on a une mise en abyme, un théâtre dans le théâtre, où le public est invité à s'identifier au peuple d'Argos. L'injonction finale « toute est à commencer » invite le public à une forme de conversion...
3. Un théâtre éthique
En choisissant d'être libre, Oreste propose un image de lui qui n'engage pas que lui-même, mais qui doit résonner sur l'humanité tout entière.
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