texte 2 les Mouches exposition
I. La place et le discours des dieux
1. de la représentation à la présence des dieux
Chez Sophocle, les dieux sont mentionnés à 2 reprises. Oreste énonce d'abord dans un discours rapporté l'oracle d'Apollon qui lui prescrit d'aller tuer les assassins de son père. Il invoque ensuite la bienveillance des dieux, rappelant qu'il accomplit leur volonté. Chez Sartre, la présence des dieux est manifeste à travers Jupiter : il s'adresse directement à Oreste sous le masque de Démétrios (rappel : sur scène, le décor place au centre de l'espace une statue de Jupiter). Chez Sartre, le dieu devient un personnage à part entière. Les dieux sont plus présents, plus influents. La scène d'exposition expose l'homme face au divin.
2. des rôles opposés
Le Jupiter de Sartre s'oppose à l'Apollon de Sophocle : l'oracle demande à Oreste de se venger / Jupiter l'encourage à s'en aller, avec de nombreux impératifs assortis d'une menace finale (un terrible catastrophe retombera sur vous). Chez Sophocle, les dieux sont du côté du droit, du côté d'Oreste, et contre Egisthe. Chez Sartre, Jupiter demande à Oreste de renoncer à la vengeance, comme s'il n'était plus lié au destin des Atrides ; le dieu est alors complice des meurtriers et incarne une figure de monstre tragique « la peur, la mauvaise conscience ont un fumet délectable pour les narines des dieux ». Figure intimidante (jeux de regards!!)
3. les dieux dégénérés
Cette réécriture fait des dieux une incarnation de la tromperie (Jupiter se cache sous une fausse identité), de la mauvaise foi et de l'injustice. Ils ont perdu leur rôle de garant du droit dans la cité. Personnage dépourvu de grandeur, il utilise des détours pour se faire comprendre à demi-mot, opposée à la clarté sublime des images de révélation (on est loin des représentations de divinités en majesté), rabaissée dans une rhétorique de l'insinuation.
II. Une relecture politique du mythe
1. Une ville de criminels
Clytemnestre et Egisthe sont responsables de la mort d'Agamemnon, et sont désignés par une périphrase « les assassins de mon père » chez Sophocle. Dans la version de Sartre, la responsabilité du crime s'étend sur tous les habitants d'Argos, sous le signe du pluriel « de grands pêcheurs/ leur repentir / leurs remords... » le collectif « les gens d'ici » englobe la ville et fait passer le crime d'une faute individuelle à une responsabilité collective.
2. une politique de culpabilité
La pièce, jouée en 43, peut nous inciter à lire cette tirade de Jupiter comme le discours tenu par le régime de Vichy : la « ville à demi-morte » rappelle la France vaincue de 1940, à moitié envahie. L'expression « la paix soit sur vous » peut raisonner de façon ironique, rappelant l'armistice signé par le Maréchal... Le lexique de la faute et du remords renvoie à ce qu'on appelait le « méaculpisme » (entreprise de culpabilisation des français) : les français seraient en partie responsables de la défaite à cause des régimes néfastes qu'ils ont cautionnés avant la guerre. Comme Jupiter à Argos, l'occupant allemand et le collaborateur vichyste ont cultivé le remords pour qu'ils leur soient soumis. Le jeu de regard mis en scène s'apparente à une forme de persuasion où le dieu cherche à hypnotiser, à endormir la conscience d'Oreste...
3. un résistant dérangeant
Chasser Oreste de la ville, c'est faire fuir celui qui incarne un risque de résistance, et donc de libération des habitants. Oreste est d'ailleurs présenté comme un personnage qui ferait « un brave capitaine ». Le caractère sadique de Jupiter s'explique : figure proche du maréchal Pétain, il ne peut plus conserver le visage juste et sévère du dieu antique.
III. Une critique du christianisme
1. un théâtre engagé
Le lexique de la religion se résume chez Sophocle à quelques noms traditionnellement associés aux cultes antiques (oracles, libations, urne, dieux…). En revanche, dans le discours de Jupiter, de nombreux termes renvoient au christianisme : pécheurs, rachat, repentir… Ce vocabulaire peut sembler anachronique, d'une part, surtout qu'au polythéisme des grecs s'oppose la figure d'un dieu unique qui peut rappeler le monothéisme... D'autre part, il semble que Jupiter attende des habitants d'Argos une démarche qui s'apparente à la pénitence chrétienne. On paie une faute originelle, la condition humaine est marquée du sceau de cette fatalité.
2. un théâtre philosophique pronant la liberté
La réécriture est alors l'occasion de faire allusion à l'existentialisme : Etre et le néant = publié la même année… Sartre prône l'absolue liberté de l'homme qui échappe à tout déterminisme, à tout fatalisme (l'existence précède l'essence) incarné par la morale chrétienne. Oreste va inviter les habitants d'Argos à devenir libres en se défaisant de la tutelle des dieux. Les dieux sont mauvais (sadiques), ils sont mauvais pour les hommes (politiquement et moralement), ils sont facteurs d'aliénation et d'endormissement des consciences.
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