entrainement dissertation
« Inventer, c'est se ressouvenir », disait Nerval. Qu'en pensez-vous ?
Recherche de vocabulaire (analyse du sujet)
> inventer / innover /
> ressouvenir / réécrire / reprendre, adapter / rendre hommage / détourner
Recherche d'idées
> quelle est la place du souvenir, des modèles, dans la création ?
> qu'est-ce que l'originalité ?
> peut-on imiter et être original ?
Recherche d'exemples :
les transpositions films / livres
les reprises de chansons
Montaigne et les Anciens, La Pléiade et l'innutrition
Baudelaire : poème en vers / en prose
la querelle des Anciens et des Modernes (fables de La Fontaine)
mythes grecs… et théâtre (Racine / auteurs du Xxème)
surréalistes : volonté de rupture systématisée
Problématique :
le sujet se présente comme un paradoxe : le nouveau, c'est l'ancien… créer, n'est-ce que reprendre ce qui a été écrit d'une autre manière ?
Recherche d'un plan :
le souvenir est omniprésent en littérature
mais réécrire n'empêche pas d'être original
et on peut inventer de nouvelles voies...
exemple d'introduction, étape par étape
1. Amorce :« Tout est dit, et l’on vient trop tard, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent », écrit La Bruyère au début des Caractères, dont une partie est une reprise de l’œuvre du moraliste grec Théophraste, dont il donne une traduction.
2. Enjeux : Comment créer du nouveau quand on vient après des siècles de littérature, de peinture et de musique ? Quand les principaux thèmes ont été abordés, les principales formes utilisées, comment ne pas imiter et comment être original ? C’est ce qui porte Nerval à affirmer qu’« inventer, c’est se ressouvenir ».
3. Cependant : Si l’on peut lui accorder que tout le monde « se ressouvient », on peut lui rétorquer que « se ressouvenir » ne signifie pas copier servilement. Bien au contraire, il faut considérer le souvenir comme un soutien qui, dans un deuxième temps, permet la création originale.
4. Problématique : nous verrons dans quelle mesure créer, ce n'est pas seulement imiter les modèles du passé.
5. proposition de plan : Inventer, c'est se ressouvenir… mais cela n'empêche pas d'être original, car de nouveaux horizons sont toujours à explorer.
I. « Inventer, c’est se ressouvenir »
1. Le souvenir littéraire valorisé : formateur et gage de qualité
Loin de la mépriser, l’Antiquité réserve une large place à l'imitation : en se mettant sous la tutelle des modèles reconnus, l’apprenti artiste assure à son œuvre une certaine valeur artistique. La Pléiade préconise « l’innutrition », qui consiste à assimiler les modèles anciens pour mieux s’en ressouvenir et les imiter. En peinture, on reproduit des motifs traditionnels (La Vierge et l’Enfant, la Nativité). La Bruyère, avant d’écrire ses Caractères, traduit l’œuvre de Théophraste. Le souvenir et son corollaire, l’imitation, seraient alors nécessaires au développement créatif.
2. Comment ne pas imiter ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit ?
Mais, au-delà d’une démarche consciente et volontaire, est-il seulement possible, pour un artiste, de ne pas imiter ? Il n’y a pas en littérature de renouvellement fondamental des sujets, parce qu’il n’y a pas de renouvellement de la nature humaine. Les écrivains traitent toujours des préoccupations essentielles : la mort, l’amour, le pouvoir… Ainsi, les écrivains du Xxème réécrivent les mythes antiques : Giraudoux prétend écrire la 38e version d’Amphitryon ; Gide fait revivre Thésée, Prométhée, les personnages de Virgile dans Paludes ou Les Nourritures terrestres ; Sartre reprend dans Les Mouches la tragédie d’Oreste ; Camus, le mythe de Sisyphe. b. Un nombre limité de formes littéraires : Les formes littéraires elles-mêmes ne sont pas inépuisables. Il y a toujours des prédécesseurs : Rousseau, au début des Confessions, affirme « former une entreprise qui n’eut jamais d’exemple » ; or, on y trouve des ressemblances avec celles de saint Augustin. Quant à ses imitateurs, ils ont été légion : Chateaubriand, Musset…
L’héritage culturel et la réécriture de soi-même. Toute écriture porte la marque d'une culture et d'une histoire personnelles . Toute réécriture est involontairement un ou des ressouvenir(s). Camus affirme dans L’Envers et l’Endroit qu’« une œuvre n’est rien d’autre qu’[un] long cheminement pour retrouver par les détours de l’art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur une première fois s’est ouvert ». Pour lui, l’œuvre d’un écrivain ne serait qu’une ample réécriture de soi-même. Ainsi, Rousseau juge de Jean-Jacques est une réécriture des Confessions ; Candide, une réécriture des Voyages de Scarmentado ; Baudelaire écrit deux poèmes sur un même thème, l’un en vers, l’autre en prose (« La Chevelure » / « Un hémisphère dans une chevelure »).
3. Se ressouvenir pour imiter, parodier
L’imitation peut aussi être voulue, comme dans le pastiche et plus encore dans la parodie. Celui qui parodie est par essence un imitateur : il doit s’imprégner de son modèle, en saisir les particularités. Par son imitation, il reconnaît la valeur de l’œuvre qu’il parodie. En effet, la parodie est souvent un hommage, puisqu’on vient se placer dans la lignée d’un auteur et qu’au-delà de son souvenir on revendique son patronage. Lorsque Rimbaud, dans « Ma bohême », se souvient des poètes romantiques et les parodie, on sent le tribut payé à ses prédécesseurs. Parodier, c’est certes « se ressouvenir », mais c’est aussi une façon de rendre hommage. La parodie est également un jeu qui vise à créer une complicité. L’écrivain qui parodie veut procurer à son lecteur le plaisir de se « ressouvenir », de reconnaître le texte source imité : le texte second, une fois sa cible identifiée, propose de multiples clins d’œil à la sagacité du lecteur qui se réjouit à chaque trouvaille.
II. Le « souvenir » n’empêche pas l’originalité
Comment peut-on se détacher de son modèle, s’en démarquer et faire œuvre originale ? Plusieurs facteurs déterminent les écarts entre le texte et le modèle : le contexte, les buts de l’auteur ou encore le public visé.
1. Façonner son « souvenir » en l’adaptant au contexte
Inventer, c’est façonner son souvenir, l’adapter au contexte. Le Dom Juan de n’est plus celui de Tirso de Molina, mais s’inscrit résolument dans le mouvement libertin. Au XXe siècle, Anouilh pastiche les Fables de La Fontaine, mais sa Cigale chante « Tout l’été / Dans maints casinos, maintes boîtes » et va trouver un Renard « spécialisé dans les prêts hypothécaires ». Son Antigone porte la marque de la tension politique de l’année 1944 et la tirade de Créon résonne profondément dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.
2. Façonner son « souvenir » en l’adaptant à ses objectifs
Les intentions de l’écrivain qui se souvient sont le plus souvent différentes de celles de son modèle. Ainsi, l’objectif d’Anouilh dans Antigone n’est pas, comme Sophocle, de peindre les rapports entre les hommes et les dieux mais de rendre compte de l’absurdité du monde. Cette différence l’amène à s’éloigner de son modèle et à modifier les personnages. Les mythes prennent un sens différent : le Thésée de Gide est un individualiste forcené et antipathique, son Prométhée « mal enchaîné » finit par manger son aigle ; Camus imagine un « Sisyphe heureux », capable de dépasser l’absurdité de sa condition. Ainsi, les thèmes traditionnels sont réinterprétés de manière originale.
3. Façonner son « souvenir » en changeant genre ou registre
L’invention ne peut se résumer au souvenir : elle naît d’un large éventail de variations possibles. L’un change de genre et l’on passe du récit historique à la pièce de théâtre : Corneille réécrit Cinna à partir d’un passage de Sénèque et de l’historien Dion Cassius traduit par Montaigne. L’autre change de registre, même s’il s’imite lui-même : avec les mêmes idées et sur le même thème, Voltaire passe de l’ironie de l’article « Torture » de son Dictionnaire philosophique à l’indignation révoltée de sa lettre à d’Argental sur le chevalier de La Barre.
4. Façonner son « souvenir » en y imprimant son style
Chaque écrivain imprime la marque de son style à son souvenir. Pascal, empruntant à Montaigne, précise que son imitation est émulation : « Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume, c’est une même balle dont joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux. » (Pensées, 22.) Enfin, l’œuvre de tout auteur porte la marque de sa personnalité, de son affectivité et de ses goûts… ce qu'on peut appeler son style : les Fables de La Fontaine, imprégnées de la sagesse, de l’humour, de l’art de vivre de leur auteur, ont-elles encore à voir avec celles d’Ésope ?
III. Ouvertures vers de nouveaux horizons
1. Pas d’art sans écart : le « souvenir », tremplin à la création
L'imitation est un exercice qui sert de tremplin, et l’écrivain s’efforce de purger son style : Proust commence par des pastiches de Flaubert et de Balzac pour trouver son style propre. Pour Malraux, « tout art commence par le pastiche ». Picasso arrive au cubisme en testant à l’extrême les déformations qu’il fait subir à des portraits « académiques ».
2. Des ruptures existent : les novateurs iconoclastes
Enfin, l’écart peut être si grand que la rupture apparaît davantage que les souvenirs. On parle alors d’un mouvement nouveau, de fractures dues à des génies éclairés. Ainsi, dans Les Contemplations, Hugo affirme : « Je fis souffler un vent révolutionnaire […] Je fis une tempête au fond de l’encrier […] ». Dans sa Lettre du Voyant, Rimbaud demande « aux poètes du nouveau, idées et formes ». Et, de fait, après lui, la poésie ne s’écrira plus comme avant, il aura des imitateurs. Les surréalistes revendiquent d'ailleurs cette volonté de faire table rase du passé.
Conclusion : Si Nerval avoue qu’il imite, c’est parce que « se ressouvenir » ne le condamne pas à la répétition. L’écrivain se sert de ce qui a été fait avant lui pour découvrir son style propre et réactualiser dans son histoire, dans sa culture, ce qui a été écrit par d’autres de manière différente. Loin d’être un obstacle à la créativité, le souvenir apparaît comme un outil qui permet à l’écrivain de s’entraîner et de trouver son originalité. L’affirmation de Nerval ne signifie pas que la littérature est destinée à se répéter de façon, elle est un constat : l’écrivain a la chance de pouvoir profiter de prédécesseurs de génie, ce qui ne le dispense pas d’être avant tout un créateur.
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