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recueil poésie érotique

Louise Labé :

Baise m'encor, rebaise-moi et baise ;

Donne m'en un de tes plus savoureux,

Donne m'en un de tes plus amoureux :

Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

 

Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j'apaise,

En t'en donnant dix autres doucereux.

Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,

Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.

 

Lors double vie à chacun en suivra.

Chacun en soi et son ami vivra.

Permets m'Amour penser quelque folie :

 

Toujours suis mal, vivant discrètement,

Et ne me puis donner contentement

Si hors de moi ne fais quelque saillie.

 

Agrippa D'Aubigné

Nos désirs sont d'amour la dévorante braise,

Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,

Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs,

Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise.

 

De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise

Et sur la dureté, il rabat nos malheurs,

Elle lui sert d'enclume et d'étoffe nos coeurs

Qu'au feu trop violent de nos pleurs il apaise,

 

Afin que l'apaisant et mouillant peu à peu

Il brûle d'avantage et rengrège (1) son feu.

Mais l'abondance d'eau peut amortir la flamme.

 

Je tromperai l'enfant (2), car pensant m'embraser,

Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m'enflamme

Qu'il noiera sa fournaise au lieu de l'arroser.

 

 

Urbain Chevreau (17ème)

 

Je dormais d'un profond et paisible Sommeil
Quand Philis en dormant m'apparut toute nue
Comparable en son teint délicat et vermeil,
A celle qui du jour annonce la venue.

Jamais plaisir au mien ne peut être pareil
Et jamais passion ne fut mieux reconnue.
Puisque je l'embrassais et que sans mon réveil
J'étais prêt de forcer toute sa retenue.

Ici je vous appelle à mon soulagement
Astres qui présidez au bonheur d'un amant
Et je t'invoque encor doux père du mensonge :

Faites si vous pouvez me donner du secours
Que je voie en effet ce que je vis en songe
Ou faites pour le moins que je dorme toujours.

 

 

Abbé de Lattaignant (18ème), Le Mot et la Chose
 

Madame quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose
On vous a dit souvent le mot
On vous a fait souvent la chose
Ainsi de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose
Pour moi voici quel est mon mot
Et sur le mot et sur la chose
J'avouerai que j'aime le mot
J'avouerai que j'aime la chose
Mais c'est la chose avec le mot
Mais c'est le mot avec la chose
Autrement la chose et le mot
A mes yeux seraient peu de chose
Je crois même en faveur du mot
Pouvoir ajouter quelque chose
Une chose qui donne au mot
Tout l'avantage sur la chose
C'est qu'on peut dire encore le mot
Alors qu'on ne fait plus la chose
Et pour peu que vaille le mot
Mon Dieu c'est toujours quelque chose
De là je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose
Qu'il ne faut ajouter au mot
Qu'autant que l'on peut quelque chose
Et que pour le jour où le mot

Viendra seul hélas sans la chose

Il faut se réserver le mot

Pour se consoler de la chose

Pour vous je crois qu'avec le mot

Vous voyez toujours autre chose

Vous dites si gaiement le mot

Vous méritez si bien la chose

Que pour vous la chose et le mot

Doivent être la même chose

Et vous n'avez pas dit le mot

Qu'on est déjà prêt à la chose

Mais quand je vous dis que le mot

Doit être mis avant la chose

Vous devez me croire à ce mot

Bien peu connaisseur en la chose

Et bien voici mon dernier mot

Et sur le mot et sur la chose

Madame passez-moi le mot

Et je vous passerai la chose.

 

A. Allais, Complainte amoureuse

Oui, dès l'instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l'amour qu'en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
En vain je priai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j'y mis.
Ah! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu'ingénument je vous le disse,
Qu'avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu'en vain je m'opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez !
 

in Par les bois du Djinn, parle et bois du gin

 

Arthur RIMBAUD (1854-1891)

 

Vénus Anadyomène

 

Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête

De femme à cheveux bruns fortement pommadés

D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,

Avec des déficits assez mal ravaudés ;

 

Puis le col gras et gris, les larges omoplates

Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;

La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

 

L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

Horrible étrangement ; on remarque surtout

Des singularités qu'il faut voir à la loupe...

 

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;

- Et tout ce corps remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d'un ulcère à l'anus

 

Apollinaire, Parce que tu m'as parlé de vice...

Tu m'as parlé de vice en ta lettre d'hier
Le vice n'entre pas dans les amours sublimes
Il n'est pas plus qu'un grain de sable dans la mer
Un seul grain descendant dans les glauques abîmes

Nous pouvons faire agir l'imagination
Faire danser nos sens sur les débris du monde
Nous énerver jusqu'à l'exaspération
Ou vautrer nos deux corps dans une fange immonde

Et liés l'un à l'autre en une étreinte unique
Nous pouvons défier la mort et son destin
Quand nos dents claqueront en claquement panique
Nous pouvons appeler soir ce qu'on dit matin

Tu peux déifier ma volonté sauvage
Je peux me prosterner comme vers un autel
Devant ta croupe qu'ensanglantera ma rage

Nos amours resterons pures comme un beau ciel

 

 

Qu'importe qu’essoufflés muets bouches ouvertes

Ainsi que deux canons tombés de leur affût

Brisés de trop s'aimer nos corps restent inertes

Notre amour restera bien toujours ce qu'il fut

 

Ennoblissons mon cœur l'imagination

LA pauvre humanité bien souvent n'en a guère

Le vice en tout cela n'est qu'un illusion

Qu'il ne trompe jamais que les âmes vulgaires.

 

- Lettre à Lou du 03.02.1915

 

 

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