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texte 2, La Fontaine

Le Loup et le chien, Livre 1 des Fables

Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
" Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

 

I. La servitude volontaire préconisée par le chien est remise en cause par un portrait très critique de celui-ci.

Nous pouvons remarquer que le fabuliste le blâme d’une manière subtile : en effet, le chien fait miroiter un futur idyllique au loup, développant les bons côtés de sa condition. Il détaille les récompenses reçues en utilisant des anaphores, créant ainsi une impression d’abondance, « os de poulets, os de pigeons », renforcée par le terme « force reliefs » et l’hyperbole « mainte ». Il minimise ce qui est négatif, c’est-à-dire les tâches qu’il doit accomplir, comme le montrent les nombreuses structures restrictives. Car celles-ci sont dévalorisantes et heurtent la morale.

L’attachement du chien à ses maîtres est hypocrite, comme le souligne le chiasme « flatter ceux du logis, à son maître complaire », et ne vise qu’à gagner « un salaire » (« moyennant » apparaît à la fin de la liste de tâches qu’il doit accomplir, annonçant les récompenses). De plus, les bons chrétiens sont supposés accueillir les pèlerins et les mendiants, or les tâches du chien le mènent à faire l’inverse : « donner la chasse aux gens portant bâtons, et mendiants ». De plus, l’infinitive sous-entend que le loup devra se retourner contre les siens s’il suit le chien, puisqu’ils sont considérés comme des vagabonds misérables et affamés, que ces derniers sont supposés chasser.

Par ailleurs, les phrases infinitives et les énumérations qu’il utilise donnent l’impression qu’il dresse un protocole du bon serviteur !

Dans ses paroles, les champs lexicaux de l’intérêt et du calcul sont très présents (« meilleur destin », « salaire », « presque rien », « moyennant », « force reliefs », « mainte caresse »), il y a une forte dimension économique, ce qui renforce encore son côté calculateur. Le champ lexical des activités de police, désignant ses actions(« donner la chasse »), vient s’opposer à celui de la noblesse traditionnelle qui était constituée de guerriers, et qui désigne les actions du loup (« à la pointe de l’épée »), dévalorisant ainsi le chien.


 

II. L’opinion du loup, qui préconise la liberté, est particulièrement mise en valeur par le fabuliste.

Nous pouvons constater qu’il écrit du point de vue du loup en focalisation interne, comme le prouvent plusieurs indices. Le mot « rencontre » sous-entend que le loup voit celui qu’il croise, et est suivi d’adjectifs d’évaluation qui portent un jugement (« puissant », « beau », « gras », « poli ») : c’est le point de vue du loup sur le chien. On observe aussi, vers 5 à 9 un passage de discours indirect libre, c’est le loup qui parle.

Ce personnage est décrit comme quelqu’un d’intelligent. Son instinct le pousserait à attaquer le chien, mais après réflexion, il renonce et le flatte, technique qui fait ses preuves puisque le chien s’y laisse prendre et lui rend la pareille en compliments (« vous », « beau sire » sont des formules de politesse qui le montrent bien). De plus, il ne se laisse pas convaincre par l’argumentation de ce dernier, ce que l’on peut aisément prouver par les nombreuses phrases interrogatives qu’il prononce (par exemple « que me faudra-t-il faire ? » : le loup sait qu’il y a forcément une contrepartie à tous les avantages et s’informe de leur nature).

A la fin du texte, le loup s’aperçoit d’une marque sur le col du chien, (« chemin faisant il vit » : ce gérondif nous fait comprendre qu’ils ont marché ensemble, le loup se méfie, il est observateur et remarque l’anomalie) et pose encore des questions auxquelles le chien apportera d’abord des réponses très sommaires, créant une stichomythie. Le mot « attaché » fera fuir le loup, sa répétition montre le scandale que cette idée créée chez lui. Il prendra la parole à la première personne d’une manière très forte, et assimilera la liberté à un « trésor », une richesse à laquelle il ne renoncerait pour rien, comme le souligne la métaphore hyperbolique « et ne voudrais pas même à ce prix un trésor ».

Comme nous l’avons déjà relevé précédemment, le loup est aussi décrit comme un noble guerrier, ce que montre une autre métaphore « A la pointe de l’épée », le mettant en ainsi en valeur : on le voit comme quelqu’un de courageux et noble. Le loup serait-il une image du fabuliste ????

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