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texte 1, La Boétie

La Boétie, Discours sur la servitude volontaire, chap 4

 

Pauvres et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu'on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies.

Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, vous viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l'ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu'il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes.

Ce qu'il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il les innombrables argus1 qui vous épient, si ce n'est de vos rangs ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne les emprunte de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, que par vous-mêmes ? Comment oserait-il vous courir sus, s'il n'était d'intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n'étiez receleur du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes ?

Vous semez vos champs, pour qu'il les dévaste; vous meublez et remplissez vos maisons, pour fournir à ses voleries; vous élevez vos filles afin qu'il puisse assouvir sa luxure; vous nourrissez vos enfants, pour qu'il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore !) pour qu'il les mène à la boucherie, qu'il les rende les ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu'il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin qu'il soit plus fort, plus dur et qu'il vous tienne la bride plus courte: et de tant d'indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n'endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir.

Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l'ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser.

Les médecins disent qu'il est inutile de chercher à guérir les plaies incurables, et peut-être, ai-je tort de vouloir donner ces conseils au peuple, qui, depuis longtemps, semble avoir perdu tout sentiment du mal qui l'afflige, ce qui montre assez que sa maladie est mortelle. Cherchons cependant à découvrir, s'il est possible, comment s'est enracinée si profondément cette opiniâtre volonté de servir qui ferait croire qu'en effet l'amour même de la liberté n'est pas si naturel.

 

1Surveillant, espion

 

humanisme = recentrement sur l'homme, avec intérêt pour le corps, l'esprit, le social. Réflexion politique aussi avec condamnation de la tyrannie et imagination d'utopies. Mais aussi, renaissance des sources antiques, avec discours de la démocratie athénienne, notamment, en arrière plan. Servitude volontaire = un paradoxe : texte écrit sous le signe d'une logique carnavalesque du monde à l'envers. Il s'agit de faire naître une prise de conscience.

 

I. la dimension polémique de ce discours argumentatif : réveiller le peuple

un texte accusateur : utilisation du vous (prise de distance). Déséquilibre entre le pluriel (le peuple) et le singulier (le maître). Accusation du peuple autant que du tyran : texte polémique.

Un ton véhément : importance des adjectifs qui jouent sur les sentiments (cf 1ère phrase), expressions superlatives, phrases emphatiques

importance de la vue (sous vos propres yeux), des démonstratifs (ce dégât, des malheurs, cette ruine), et du voc concret (deux yeux, deux mains...) : il s'agit d'ouvrir les yeux du lecteur en ayant recours à l'hypotypose. Le présent d'énonciation renforce alors cet effet

commentaires de l'auteur, marques d'un engagement (adverbes) et même légère moquerie à la fin du 1er paragraphe !

rythmes et gradations (groupes ternaires dans le 1er paragraphe), questions rhétoriques

=> Insister sur la lecture !! faire lire et relire des passages


 

II. dimension inductive : construction d'une prise de conscience

démarche scientifique : on part d'un constat, d'une observation -> leçon, (on finit par la médecine...) : stratégie inductive, qui amène à construire un raisonnement plutôt qu'à l'imposer (méthode non tyrannique...)

vocabulaire concret > abstrait ( vérité intellectualisée, réfléchie,...)

1ère partie = sur les causes // 2ème partie = sur les conséquences (connecteurs logiques)

retournements de situation et antithèses : le monde à l'envers qui bouleverse la raison, le bon sens : cf les subordonnées de but absurdes du 4ème paragraphe

=> Insister sur des microlectures, lecture de phrases


 

III. la voix de l'humaniste : un orateur médecin

comparaisons avec les bêtes et les malades = à mettre en rapport avec la notion d'humanisme

une raison souveraine (art de peser, de nuancer) : images du déséquilibre (paragraphe 1 : un grand bonheur > seulement la moitié d'un bien, oppostion entre les deux yeux et 2 mains du maître> nombre infini des villes, etc...). Cette raison de l'homme libre s'oppose aux passions du tyran

contre-nature de la servitude / naturel de la liberté

image du tyran : le monstre, l'inhumain : périphrase pour le signaler (c'est l'innommable), voc dégradé (se vautrer) ou du péché (luxure...), corps monstrueux (argus, colosse aux pieds d'argile...)

=> revenir sur le contexte, on est à l'époque de Machiavel, on sort des guerres d'Italie

document complémentaire : le discours de V :

- révolte d'une voix isolée contre état autoritaire

- oppositions entre V (seul, parle, explique) et le pouvoir (multiplicité des visages, action et agitation), importance des décalages entre les auditeurs et le pouvoir

- importance de la forme réfléchie (miroir) entre V et les auditeurs

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