corpus : les choses

Souchon, Foule sentimentale

 

Oh la la la vie en rose
Le rose qu'on nous propose
D'avoir les quantités d'choses
Qui donnent envie d'autre chose
Aïe, on nous fait croire
Que le bonheur c'est d'avoir
De l'avoir plein nos armoires
Dérisions de nous dérisoires car

Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle

Il se dégage
De ces cartons d'emballage
Des gens lavés, hors d'usage
Et tristes et sans aucun avantage
On nous inflige
Des désirs qui nous affligent
On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né
Pour des cons alors qu'on est
Des

Foules sentimentales
Avec soif d'idéal
Attirées par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle

On nous Claudia Schieffer
On nous Paul-Loup Sulitzer
Oh le mal qu'on peut nous faire
Et qui ravagea la moukère
Du ciel dévale
Un désir qui nous emballe
Pour demain nos enfants pâles
Un mieux, un rêve, un cheval

Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle

 

Goldman, Les Choses

 

Si j'avais si j'avais ça
Je serais ceci je serais cela
Sans chose je n'existe pas
Les regards glissent sur moi
J'envie ce que les autres ont
Je crève de ce que je n'ai pas
Le bonheur est possession
Les supermarchés mes temples à moi

Dans mes uniformes, rien que des marques identifiées
Les choses me donnent une identité

Je prie les choses et les choses m'ont pris
Elles me posent, elles me donnent un prix
Je prie les choses, elles comblent ma vie
C'est plus 'je pense' mais 'j'ai' donc je suis

Des choses à mettre, à vendre, à soumettre
Une femme objet qui présente bien
Sans trône ou sceptre je me déteste
Roi nu, je ne vaux rien

J'ai le parfum de Jordan
Je suis un peu lui dans ses chaussures
J'achète pour être, je suis
Quelqu'un dans cette voiture
Une vie de flash en flash
Clip et club et clop et fast food
Fastoche speed ou calmant
Mais fast, tout le temps zap le vide
Et l'angoisse

Plus de bien de mal, mais est-ce que ça passe à la télé
Nobel ou scandale ? on dit 'V.I.P'

Je prie les choses et les choses m'ont pris
Elles me posent, elles me donnent un prix
Je prie les choses, elles comblent ma vie
C'est plus 'je pense' mais 'j'ai' donc je suis

Des choses à mettre, à vendre, à soumettre
Une femme objet qui présente bien
Sans trône ou sceptre je me déteste
Roi nu, je ne vaux rien

Je prie les choses et les choses m'ont pris
Elles me posent, elles me donnent un prix
Je prie les choses, elles comblent ma vie
C'est plus 'je pense' mais 'j'ai' donc je suis

Un tatouage, un piercing, un bijou
Je veux l'image, l'image et c'est tout
Le bon 'langage' les idées 'qu'il faut'
C'est tout ce que je vaux

 

comment est dénoncée l'aliénation de l'homme par les choses ?

 

 

  1. Le vertige de l'avoir : euphorie de la consommation

A la différence de l'objet, la chose exerce un pouvoir mystérieux que le vocabulaire religieux traduit. "Je prie les choses", "les supermarchés les temples à moi" : pour Goldman, ce fétichisme est rendu grâce au discours interne du fanatique, prêt à donner sa vie pour l'idéal supérieur de la possession "j'envie ce que les autres ont, je crève de ce que je n'ai pas". Pour Souchon, les choses répondent également à une "soif d'idéal", mais le pouvoir des choses n'est pas religieux, la chose est séductrice, elle anime le désir : "avoir des quantités d'choses qui donnent envie d'autre chose", "des désirs qui nous affligent", "un désir qui nous emballe"... Le consommateur est un être passionné, hypnotisé par des "étoiles" mensongères. Les choses exercent une fascination effrénée que l'énumération suggère : "un mieux un rêve un cheval". La fascination du fétiche ou de l'objet séducteur témoignent ainsi d'une véritable euphorie de la consommation.

 

  1. une crise existentielle : mélancolie de l'être

Si l'avoir prend tant d'importance, l'être est alors en crise. L'abondance cache en effet une peur du vide : les "cartons d'emballage" sont aussi l'image de "gens hors d'usage" : l'être est un emballage vide, dépourvu d'intériorité, il n'y a rien au-delà des apparences qui doivent remplir nos existences ("elles comblent ma vie", dit Goldman). On retrouve chez Goldman cette peur du vide que l'énumération tente de combler : "... fast, tout le temps zap le vide et l'angoisse".

Les verbes de Foule sentimentale traduisent une action dont le sujet est dépossédé : les tournures impersonnelles "il faut voir, il se dégage" ou l'utilisation du pronom "on", voix anonyme du stéréotype généralisé, témoignent d'une action dont le sujet n'est pas libre. Pantin manipulé pour Souchon, comédien en représentation chez Goldman (je veux l'image, l'image et c'est tout), l'individu sacrifie sa liberté d'agir sur le monde.

L'intériorité n'est pas seulement privée d'action, elle est aussi violentée chez Souchon : "on nous inflige des désirs qui nous affligent" " le mal qu'on peut nous faire" : l'euphorie de l'avoir masque violence et mépris de l'intériorité (il faut voir comme on nous parle). Dans Les Choses, la crise existentielle s'exprime à travers le motif du monde à l'envers : les choses "me donnent un prix", "c'est tout ce que je vaux" : le vocabulaire économique définit la valeur de l'être humain, "roi nu je ne vaux rien". La disparition de l'humain se lit alors dans le cogito parodié : "c'est plus je pense, mais j'ai donc je suis" : le monde de l'avoir est celui qui sacrifie la valeur de la pensée.

 

 

 

 

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