Voyage au bout de la nuit 3
Texte 3 : (à venir)
1. L'usine est un univers : tout ce qui est à l'extérieur est insignifiant, inexistant.
L'usine est décrite avec des adjectifs qui soulignent sa taille démesurée : "l'immense édifice", "cette infinie boite aux aciers"... Cet univers finit par devenir le seul horizon pour l'ouvrier. Le mot "tout" qui revient sans cesse signifie ainsi que l'usine renferme la totalité de l'existence des ouvriers. Impossible d'en sortir : "il faut abolir la vie du dehors". Quand bien même les ouvriers la quittent le soir, ils emmènent avec eux les bruits des machines "quand à six heures tout s'arrête, on emporte le bruit dans sa tête".
> Pour l'ouvrier, il n'existe pas d'autre horizon que celui de l'usine, il n'y a pas d'ailleurs pensable, imaginable.
2. Le travail à l'usine abolit également toute vie intérieure
Les sensations saturent notre extrait, au point qu'il semble impossible de se concentrer, de réfléchir un instant : "on voudrait arrêter tout ça pour qu'on y réfléchisse, et entendre en soi...". Le polyptote qui insiste sur les secousses ("trembler-tremblement-tremblotant") témoigne également de cette impossibilité de rentrer en soi. La conscience finit par être toujours en tension "entre l'hébétude et le délire". L'antithèse témoigne de la torture mentale infligée aux ouvriers, dont la conscience semble tiraillée entre deux situations extrêmes.
> L'ouvrier n'est plus capable d'être conscient, il est dépossédé de lui-même, abruti par cet enfer.
3. L'usine est de plus un univers absurde
Les ouvriers ne connaissent pas la finalité de leur travail : leurs gestes n'ont pas de sens. Dans cet univers du travail à la chaîne, tout est mis en pièces : le vocabulaire de la mécanique liste les pièces utilisées comme le vocabulaire du corps liste les organes souffrants des ouvriers. Les machines et les corps sont en morceaux. Les phrases mettent elles aussi la syntaxe en pièces : le chaos règne jusque dans l'organisation des phrases. Ainsi, dans cet univers chaotique, on perd tous ses repères : les bruits font entendre des silences, et on perd dès la première phrase de l'extrait la notion du haut et du bas (cf le chiasme).
> L'usine est un monde absurde qui a tout d'un monde à l'envers.
4. Un enfer !
Les corps décrits sont donc souffrants : ils vieillissent prématurément, et ils sont brûlés... comme en l'enfer, et comme dans l'enfer de la guerre, qui est discrètement rappelé. La notion du temps semble disparaître : Bardamu évoque ainsi la "simple manoeuvre qu'il devait accomplir désormais pour toujours". Cette condamnation rappelle les tortures éternelles telles que Sisyphe a dû subir dans le Tartare. De même la "continuité fracassante des mille et un instruments qui commandaient" rappellent l'imagerie infernale de J. Bosch...Le travail répétitif, d'ailleurs, peut faire écho à l'éternel retour qui caractérise le temps tragique.
> L'usine use les ouvriers, l'étymologie du mot "travail", qui rappelle la torture, est ici tout à fait pertinente.
5. Un monde qui se pétrifie
Les hommes deviennent machines, et de façon plus générale, l'acier façonne le monde. Voici une image de la modernité un peu ironique, bien loin de l'idée d'un progrès humaniste. Cet univers où règne l'acier est dépourvu de souplesse : le fordisme est un système rigide et implacable.
6. Une mise en abyme du Voyage
Bardamu est amené à parcourir en voyageur l'usine, puisqu'il était incapable d'accomplir sa tâche répétitive. On peut voir ici une allégorie de l’œuvre, amenée à se répéter elle-même. D'ailleurs, le texte rappelle également l'épisode de la guerre, avec cet enfer d'acier et l'aliénation des classes inférieures... Le texte semble ainsi hanté par un éternel retour et à travers la syntaxe malmenée, on peut entendre le déraillement du travail à la chaîne.
Ajouter un commentaire